Dans un retour à Freud, au tranchant de sa découverte – il y a en moi, plus fort que moi, un point brûlant dont je ne veux rien savoir – Lacan impose une nouvelle topologie qui rompt avec « l’inconscient de papa » des post freudiens. L’inconscient n’est plus enfoui dans les dessous du logos mais s’adjoint à un corps parlant et jouissant pris dans un lien social avec d’autres. Il est politique « c’est le transport de l’inconscient hors de la sphère solipsiste pour le mettre dans la Cité, le faire dépendre de ‘L’histoire’(1). ». Pourtant, cette trouvaille signifiante géniale de Freud demeure. L’inconscient. Comment vibre-t-il aujourd’hui pour les analysants et les analystes ? Pourquoi persistent-ils à en faire usage à une époque qui semble plus indexée à un pousse à jouir à ciel ouvert qu’au refoulement ?
Sans doute est-ce en raison de la force poétique de ce concept qui a résonné au colloque de la New Lacanian School. « La poésie, c’est le forçage par où un psychanalyste peut faire sonner autre chose que le sens(2) » disait Lacan. Les cliniciens, venus de différents pays, pour exposer leurs pratiques, ont témoigné de ce forage de l’inconscient qui dissout les articulations construites autour du sens, afin d’approcher toujours plus près d’une jouissance indicible. L’inconscient est « Ce trou, ce volcan que l’on peut approcher sans y disparaître par l’amour de transfert (3)». Dans cette brèche, un signifiant crée une duplicité par l’équivoque s’ajoutant au trauma du signifiant premier qui a creusé l’empreinte de LOM dans le monde. Si Freud a fait surgir une Autre scène, c’est pour que puisse s’y voiler l’innommable. De condensations en métonymies, la réponse du réel se pare des masques de l’Autre et de ses labyrinthes. Pourtant, dans la clinique contemporaine, l’inconscient, pour distiller ses vérités, n’en passe pas forcément par ce théâtre étrange. Lors de la session du dimanche matin, ainsi que l’a souligné Jacques-Alain Miller, Susana Huler a déplié la la logique d’une cure qui se déroule sans formation de l’inconscient. Le dispositif favorise un appareillage à l’Autre qui ébranle une identification mortifère et donne chance au sujet de trouver des prises signifiantes nouvelles. Georges Perec écrivait à propos de son analyse, que les rêves qu’il rapportait en séance, avaient été « rêvés pour être des textes, qu’ils n’étaient pas la voie royale que je croyais qu’ils seraient, mais chemins tortueux m’éloignant chaque fois davantage d’une reconnaissance de moi-même(4) ». L’inconscient, entre chiffrage et déchiffrage, permet d’ébranler les mirages du moi et de la fausse unité dans laquelle l’homme croit car « il croit que (son corps) il l’a. En réalité, il ne l’a pas mais son corps est sa seule consistance- consistance mentale bien entendu.(5) ». Dans ce corps s’appareille alors différemment la jouissance jusqu’à la satisfaction de la fin d’analyse. Par ses interprétations, l’inconscient trace les voies mystérieuses de la transformation du corps parlant dans l’expérience analytique et c’est ce que ce nouveau numéro d’Hebdo blog se propose d’explorer aujourd’hui.
1 Miller J.-A.,, « Intuitions milanaises »., Mental n°11 – 2002, p. 1
2 Lacan, Le Séminaire, « L’insu que sait de l’une-bévue », années 76-77, inédit.
3 Pierre Gilles Gueguen, « Surprises de l’inconscient : en passer par le déchiffrage », deuxième ponctuation, Autour de l’inconscient, 29&30 avril 2017.
4 Georges Perec « Les lieux d’une ruse », Penser, classer, Paris, Seuil, 2003, p. 70.
Ibid., p. 67Ibid, p. 70
5 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome (1975-1976), texte établi par J.-A. Miller, Paris, seuil, coll. Champ Freudien, 2005, p.66.