« Qui prêtera la parole
A la douleur qui m’affole ?
Qui donnera les accents
A la plainte qui me guide :
Et qui lâchera la bride
A la fureur que je sens ? »
La complainte du désespéré (1552)
Joachim Du Bellay (vers 1522-1560)
Ce samedi 4 mars, l’Association de la Cause freudienne Midi-Pyrénées organise un colloque sur le « Malaise dans les institutions ».(1) Evoquant le titre freudien, le « malaise » dont il est ici question, est celui intrinsèque à toute « formation humaine » qui, selon la formule lacanienne, « a pour essence, et non par accident, de réfréner la jouissance »(2). Sans pour autant céder à la plainte ou au constat d’échec qui répertorie les innombrables occurrences du malaise qui traverse les institutions pour dénoncer la maltraitance que lui font subir telles politiques sociales ou de la santé, ou les conflits internes dans lesquels s’égarent souvent les équipes de professionnels.
Lacan introduit l’idée que le principe du plaisir est un principe de régulation de la jouissance, et indique que c’est justement dans la perte que la jouissance est éprouvée, saisissable par le sujet. Lorsqu’elle est « présente », « active », la jouissance agite le corps, hors sens. Le frein qui, selon Lacan, constitue alors l’essence de l’institution, celui qui permet de faire barrière à cette jouissance envahissante et insupportable, est rien de moins que le plaisir. Comme le signalait Pierre Naveau lors des journées de l’ECF sur la Psychanalyse appliquée : l’institution est alors envisagée par Lacan, non pas à partir d’un plus, mais plutôt à partir de la soustraction.(3)
C’est en tant qu’analysants civilisés que certains psychanalystes interviennent dans des institutions, dans une pratique à plusieurs, sans y installer un cabinet d’analyste.(4) Une écoute particulière permet alors de suivre le rythme des trébuchements du sujet, ses hésitations, se convictions fermes, se doutes, ses joies et ses frustrations, afin de déterminer l’intervention qui permettra la régulation de l’agitation produite par la jouissance. Ici, nos amis du RI3 sont pour chacun d’entre nous une précieuse référence. L’intervention vise un acte, comme réponse à l’agitation, tout en sachant ne pas savoir, tout en préservant une place à la question de saisir comment un trouble s’inscrit dans la subjectivité, avec quelle logique, comment constitue-t-il une réponse du sujet au réel qu’il a rencontré dans son existence.
« Il y a en psychanalyse des moments où le souci thérapeutique l’emporte sur le souci de vérité : avec certains patients, il n’est pas recommandé de déchaîner toute la puissance d’ébranlement et de dévoilement que l’analyse peut avoir sur les identifications, les idéaux, les valeurs, les croyances, les racines de jouissance… », déclarait Jacques-Alain Miller à L’Express en 2002.(5)
Nous nous retrouverons bientôt à Toulouse afin de relever le pari auquel nous invitait Lacan en 1967 : trouver quelle est notre joie dans l’exercice jamais tout à fait confortable du travail dans l’institution.(6)
1 https://colloqueacf.wordpress.com/le-lieu-le-lien/ https://acfmp.wordpress.com
2 Lacan J. « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres Écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 364.
3 Naveau P. « La psychanalyse appliquée au symptôme : Enjeu et problèmes », http://www.wapol.org/ornicar/articles/223nav.htm
4 Zenoni A., L’Autre pratique clinique : psychanalyse et institution thérapeutique, Erès, 2009.
5 « Tous lacaniens ! » http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/tous-lacaniens_493912.html
6 Lacan J. « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 369.