De nouveaux modes de jouir
Les adolescents contemporains présentent bien souvent des addictions que Marie-Hélène Brousse appelle « le nom de symptôme de la jouissance[1] » : la drogue, l’alcool, les objets technologiques. Ils branchent leurs corps pubères sur leurs tablettes et s’appareillent à leurs Smartphones. L’objet gadget, consommable, jetable, a envahi la scène de leur monde au détriment de l’idéal sans lequel ces sujets apparaissent parfois « désorientés.[2] »
Dans La Troisième, Lacan fait de l’objet gadget un nouveau symptôme. Il affirme : « nous n’arriverons pas vraiment à faire que le gadget ne soit pas un symptôme. Il l’est pour l’instant, tout à fait évidemment. [3] »
Prendre appui sur son symptôme
Le symptôme induit un comportement addictif, court-circuitant la relation à l’autre. Il s’agit d’accompagner l’adolescent, afin qu’il prenne appui sur son symptôme pour réinventer sa place dans l’Autre et dans le monde, avec comme boussole l’objet gadget.
J.-A. Miller dans L’inconscient et le corps parlant[4] écrit : « le corps parlant jouit », mais « une jouissance […] se répartit aussi sur les objets a ».
La connexion permanente sur internet le débranche de l’Autre familial. Des nos jours, l’adolescent regarde les selfies, les belfies et les foodselfies publiés par ses pairs sur Instagram. L’instant de voir est ainsi intimement lié à la pulsion orale.
Nouveaux symptômes et lien social
Dans son texte, En direction de l’adolescence[5], Jacques-Alain Miller souligne que « c’est sur les adolescents que se font sentir avec le plus d’intensité les effets de l’ordre symbolique en mutation […] à savoir la déchéance du patriarcat. » Ce n’est pas tant de la disparition du Nom-du-Père dont il s’agit que de son « affaissement ». Celui-ci n’est pas sans conséquence sur les symptômes des adolescents.
Jacques-Alain Miller indique en effet que « la socialisation du sujet peut se faire sur le mode symptomatique. » Il fait référence à Hélène Deltombe qui articule les nouveaux symptômes des jeunes au lien social : phénomènes de masse, voire épidémies (alcoolisme, toxicomanie, anorexie-boulimie, délinquance ou encore suicides en série d’adolescents).
Pour Hélène Deltombe : « L’adolescence […] constitue une classe d’âge où chacun cherche ses repères de préférence auprès de ses semblables et non en prenant appui sur une hiérarchie. Aussi les identifications se développent non par identification à un trait du père, mais plutôt sous forme d’épidémies[6] ».
« 17 Filles[7]», un film inspiré d’un fait divers américain, met en scène un phénomène de contagion chez de jeunes lycéennes. Camille, la première des filles à être enceinte accidentellement, invite ses copines à faire un enfant comme elle. « 17 Filles » dévoile et révèle alors que le rapport au corps est au premier plan dans la clinique de l’adolescence.
Ces adolescentes veulent rompre avec les idéaux parentaux soixante-huitards, et remettent en cause l’éducation et les valeurs transmises par la famille. L’utopie collective qui les réunit est ainsi de changer le monde. Avoir un enfant est le moyen qu’elles trouvent pour y parvenir.
Elles se raccrochent à la norme de leur groupe, à savoir être enceinte. Elles ont l’illusion de partager un idéal. La maternité prend ainsi la forme d’une identité commune au détriment d’un processus de subjectivation. La question du désir d’enfant et de leur position dans l’existence reste forclose : elles attendent des solutions de leurs semblables.
Lorsque Camille perd son enfant en fin de grossesse dans un accident de voiture, elle passe à l’acte en disparaissant. Sa sortie de scène a pour effet de défaire le lien qui unissait les filles du groupe qu’elle fédérait. Les spectateurs assistent ainsi, lors du dénouement du film, au délitement de leur utopie collective de changer le monde, et d’un idéal de vie commune, partageable.
[1] Brousse M.-H., « L’Expérience des addicts ou le surmoi dans tous ses états », La Cause du désir, no 88,
octobre 2014, p. 6.
[2] Miller J.-A., « Lire un symptôme », Mental, no 26, juin 2011, p. 49-58.
[3] Lacan J., « La troisième », La Cause freudienne, no 79, octobre 2011, p. 32.
[4] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », Le réel mis à jour, au XXIe siècle, Paris, École de la Cause freudienne, coll. rue Huysmans, 2014,
[5]Miller J.-A., « En direction de l’adolescence », Intervention de clôture à la 3e Journée de l’Institut de l’Enfant, 2015.
[6] Deltombe H., Les enjeux de l’adolescence, éditions Michèle, Paris, 2010.
[7] « 17 filles », comédie dramatique de Delphine et Muriel Coulin, 2011.