« Identité et trauma ». Tel est le titre sous lequel s’est tenue la journée du département de psychanalyse de Paris 8 le 9 janvier dernier. Ce thème proposé par Clotilde Leguil invite à croiser deux concepts dont l’un est à coup sûr psychanalytique – le trauma – tandis que l’autre est plus flou. L’identité a été à ce point à la mode dans les sciences sociales qu’on aurait pu la croire usée jusqu’à la corde, mais elle est increvable. Ces deux signifiants, identité et trauma ont donc cela de commun qu’ils sont tous deux des signifiants-maîtres de notre époque. Les attentats, depuis celui de 1995, en France, par leur retentissement, ont entraîné une réponse de l’Etat : de la reconnaissance des victimes à la mise en place des cellules d’urgence destinées à leur prise en charge. Didier Cremniter, qui dirige l’une de ces unités (la CUMP) était présent et a pu faire état de la clinique spécifique de l’urgence à laquelle il travaille.
Le pullulement des désastres, des événements disruptifs venant traumatiser les civils et frappant au hasard, ont eu ce pouvoir de consolider une identité spécifique : celle de la victime. Si Richard Rechtman indique la nécessité absolue de la reconnaissance de ce statut et l’apaisement qu’il procure, Guy Briole a pu quant à lui mettre en évidence, à partir d’exemples cliniques d’une grande finesse, comment cette identité d’emprunt, « factice », pouvait aussi être, dans un second temps, source d’embrouilles pour le sujet. Ce dernier, au détour de l’analyse, pourra ainsi faire en sens inverse le chemin qui le mènera de ces signifiants de l’époque, d’un moment, à ses propres signifiants et, de là, à son « identité la plus assurée » : son symptôme, pour reprendre la proposition de Jacques-Alain Miller[1]. Comme Clotilde Leguil le rappelait dans son texte introductif[2], s’il y a une identité qui vaut en psychanalyse, c’est celle du je. D’un je auquel le symptôme vient donner sa tonalité, son style à nul autre pareil. C’est donc à rebours du discours dominant qui favorise ces identités factices, que la psychanalyse s’invente et s’éprouve.
Ce discours du maître si avide de faire entrer le sujet dans une case – la case T1 / « T’es un », comme Marie-Hélène Brousse l’illustrait l’an passé dans son séminaire à l’ECF[3], avec cette équivoque tirée d’une cure – propose ainsi une multiplicité d’identités, qui ne sont, en définitive, que « de papier », souligne encore Marie-Hélène Brousse. Papier à jeter, mais papier qui colle à la peau, qui sépare et ségrégue, comme l’a montré Eric Laurent en déployant la logique des récentes élections américaines, et la promotion de l’idéal du blanc, revisité par Donald Trump. Il en déduit que la politique des identités, défendue par Hilary Clinton, a « rencontré un trauma », au profit donc d’un retour de l’identité comme Une. De manière concomitante, une politique de « l’imprévisible et du chaos » émerge, avec « autorisation à une jouissance mauvaise ».
Cette société qui vend de l’identité prêt-à-porter, fondée sur l’universel facile dégagé par Jean-Claude Milner, est aussi celle qui produit une nouvelle forme de trauma. François Ansermet a ainsi mis en évidence l’émergence du « trauma de prédiction » auquel la science donne naissance dès lors qu’elle anticipe la maladie d’un sujet. Retournement du temps, angoisse redoublée d’un demain qui rime avec la disparition, ce trauma d’un type nouveau, qui enterre la vie et la fait passer au passé en un tour de main, témoigne aussi des mutations de l’identité dans le discours du maître, une identité éclatée, bousculée, dans laquelle le sujet se perd, et où la psychanalyse peut lui frayer un chemin, pour se retrouver, au présent.
[1] Miller J.-A., « Le symptôme : savoir, sens et réel », Le symptôme-charlatan, textes réunis par la fondation du champ freudien, Champ freudien, Seuil, 1998, p. 55.
[2] Ce texte est paru dans le n°619 de Lacan Quotidien.
[3] Séminaire tenu l’an dernier sous le titre Identity Politics. Cet exemple est pris de son premier cours.