Laetitia Carton n’en est pas à son premier film. Elle en a déjà réalisé deux prétendument documentaires. Vrai ciné à mes yeux, ce film, qui a nécessité neuf ans de préparation, nous plonge dans le monde que l’on dit être celui du silence… et qui est celui de son ami Vincent, mort il y a dix ans, lequel l’avait initiée à la langue des signes. Elle lui donne aujourd’hui des nouvelles de son pays…
Si la bulle est la figure par laquelle la parole peut être attribuée à des personnages dessinés (son autre film consacre un auteur de biographie en BD) de quel lâcher de ballons pourrait-on se saisir pour montrer au globe que les sourds ne sont ni aveugles ni muets ? La schize de l’œil et du regard les concerne au plus haut point. Lacan n’en appelle-t-il pas aux masses et à l’histoire d’une geste digne de celle de Roland à Roncevaux, de se saisir de ce qu’il préférait était un discours sans parole, en promotionnant voix, regard et rien ?
Emmanuelle Laborit l’a bien compris, elle qui se fait chantre, grâce à l’art du théâtre, de promouvoir la LSF – la langue des signes. Sa contribution au film est une des performances. Autre exploit qui nous a le plus touché, celui de ces parents clermontois s’exilant à Toulouse pour le bien-être de leurs enfants, bien entendus sourds, comme eux, à l’envers des malentendants des militances politiquement correctes, subjuguées par les promesses d’une chirurgie appareillante, du même ordre que la décriée pratique de l’oralisation. Une mesure récemment levée, l’édictait. Une marche vers Milan, dans le film, célèbre une date historique en la matière et les combats menés pour l’abolition de cette loi qui relégua la langue des signes dans la clandestinité.
Le vrai happening, c’est Laetitia Carton, la metteuse en scène, qui le démontre à ses cinéphiles. Elle a une guide tout au long du film. Elle l’interroge comme une fidèle compagne. C’est une jeune femme dite « oralisée », vue la génération à laquelle elle appartient. Elle lui dit le beau qu’elle pense d’une autre langue que celle qu’on lui a forcée à faire son bien. La réalisatrice, c’est le moment exquis du film, lui demande de fermer les yeux. C’est à son insu car on la suppose adepte du faire ouvrir les yeux par son art. C’est ça qui donne à voir combien lire sur les lèvres, par son extension aux gestes, aux fins mouvements des doigts et des mains donne corps à cette gesticulation sensible et intelligente.
Pour un être de n’avoir pas d’audition, dans le monde aux bruits assourdissants, le sujet se défait de l’emprise de la subjectivité de la mère, accidentée de la science.