P., 26 ans, vient au CPCT dans l’urgence, car sa mère vient de décéder. Il savait qu’elle allait mourir et attendait sa mort « pour être libéré ». Or il ne se sent pas libéré du tout. Elle est encore plus présente. Sans transition, il me fait part d’un événement important. Il y a quatre ans, lors d’un stage de deltaplane, il a fait une mauvaise chute, et s’est retrouvé à l’hôpital. Étrangement, bien qu’il ne croie pas aux « rêves prémonitoires », la veille, il avait rêvé qu’il tombait. Sa mère lui avait alors dit : « Tu es responsable de cette chute, puni parce que tu as volé. » Je lui fais observer que le mot « vol » est équivoque. Il n’y avait jamais pensé. Que P. récuse l’accusation maternelle (il estime même « avoir fait des bêtises à cause de [ses] parents »), ne l’empêche pas d’avoir pris son énoncé à la lettre. Sa demande est d’y voir plus clair par rapport à sa mère et à sa succession.
La relation à son père, elle, se serait dégradée au décès du grand-père paternel, décès qu’il ne sait pas situer dans le temps (et qui est sans doute un moment de déclenchement). Le père lui aurait dit : « Tu dois venir à l’enterrement sinon tu dégages. » P. a très mal pris cette injonction. Ce qui le trouble, c’est la succession du grand-père qui lui fait anticiper la mort du père, alors même qu’il est très préoccupé par la succession de sa mère. Lui-même tient beaucoup à laisser une succession, mais ne supporte pas l’idée d’être père. Circonscrite à l’héritage des biens matériels, la « succession » vient pallier l’impossibilité d’assumer un héritage et une filiation symboliques ; mais cette question cruciale le laisse profondément perplexe, à défaut de trame symbolique qui la légitimerait. P. doit alors se défendre contre l’idée qu’il est un voleur, un usurpateur (parmi les « bêtises » commises à l’adolescence, il y avait la falsification de chèques avec usage d’une fausse pièce d’identité).
Dans le traitement, l’analyse de ses nombreux rêves va faire office d’invention pour border ce réel hors sens. Ainsi se retrouve-t-il pendu par les mains, offrant son corps à voir de manière obscène. « C’est une position christique ! », dis-je. Il se saisit de cette intervention. Il est le fils unique, pas un voleur. Le fils sacrifié devient héros.
À la douzième séance, il amène un dernier rêve : il se trouve dans la maison de son enfance, avec ses parents ; il est sur le balcon – là, où, enfant, il se mettait debout, à l’abri de leur regard (ses parents lui interdisaient cet endroit trop dangereux où il risquait de tomber). P. dira ensuite avoir terminé son traitement et « réglé [son] problème de succession ». Avec ce rêve, une boucle semble s’être accomplie dans le traitement.
P. a résolu imaginairement, au moins temporairement, sa question, celle de la succession. Comme si, court-circuitant l’accusation d’être un « voleur », il se rebranchait sur l’autre sens du mot « vol » – bravant les hauteurs, voltige-t-il ainsi soustrait au regard de l’Autre ?