Lors de la dernière soirée de la Bibliothèque consacrée aux nouvelles perspectives pour l’enfant en analyse, nous avons mis en relief le signifiant « l’enfant du siècle » mentionné par Daniel Roy.
Commentant la portée du choix d’un titre, Jacques-Alain Miller a souligné qu’un titre, c’est à la fois l’annonce, le résumé et le double du texte en réduction. Il a pointé l’existence d’une dialectique subtile entre le titre et le texte ainsi que la façon de biaiser, c’est-à-dire d’user de finesse, avec cette dialectique. Lorsque Lacan écrit « Kant avec Sade », l’on peut imaginer l’échange de titre entre la Critique de la raison pratique de Kant et La philosophie dans le boudoir de Sade, la plus érotique n’étant pas celle qu’on croit. Jacques-Alain Miller ajoute qu’on peut intervertir d’autres titres et que si Les Fleurs du mal se nomme La confession d’un enfant du siècle, à l’évidence, quelque chose se perd.
Évoquons que chez Baudelaire, l’enfant n’est pas un être innocent, mais une créature de sensations. L’enfance, c’est à la fois le temps et l’expérience de la passion esthétique. C’est l’énergie vitale, la source de toutes les impressions, le bon temps des tendresses maternelles. « L’enfant voit tout en nouveauté, il est toujours ivre. Rien ne ressemble plus à ce qu’on appelle l’inspiration, que la joie avec laquelle l’enfant absorbe la forme et la couleur » écrit Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne. L’enfant jouit au plus haut degré de la faculté de s’intéresser vivement aux choses ; il rencontre l’énigme du désir de l’Autre sous les traits du sphinx de la Beauté, ceux-ci s’effaçant au fur et à mesure que l’enfant grandit. Le poète partira à la recherche de cette vie de sensations sous une forme fragmentée, l’énigme du désir de l’Autre étant ici à l’origine de toute sublimation.
Chez Alfred de Musset, le décor n’est pas le même, l’enfance est corrélée au mal du siècle. L’histoire d’Octave, adolescent malheureux de dix-neuf ans trahi par sa maîtresse, est celle de la mélancolie post-révolutionnaire, la faute morale s’origine du dégoût de la vie. Le symptôme dominant est le sentiment de malaise éprouvé par les enfants nés durant les guerres d’Empire alors que les maris et les frères sont partis au loin se battre. Les mères inquiètent et seules ont mis au monde une génération « ardente, pâle, nerveuse » et, de temps en temps, les pères ensanglantés réapparaissent. Le seul grand vivant, l’Un tout seul encore en vie, en définitive, c’est l’empereur qui entraîne l’Europe dans la guerre et dont la chute conduira au déclin des vieilles croyances.
Cette soirée nous a permis d’entrevoir l’enfant du XXIème siècle. En mai, la prochaine sera placée sous le signe du réel au centre de l’énonciation freudienne. Nous y verrons aussi comment Lacan pouvait remuer ciel et terre pour se procurer un volume introuvable.