C’est le dernier jour de l’année scolaire dans un petit village du Nord de la Turquie d’aujourd’hui. Il fait beau, cinq sœurs orphelines de treize à dix-sept ans décident de rentrer chez leur grand-mère en passant par la plage. Lale, la plus jeune, est triste de quitter l’une de ses enseignantes qui part vivre à Istanbul. Juchées sur les épaules de garçons, les sœurs jouent dans les vagues, toujours habillées de leur uniforme d’école : chemisier blanc, jupe et collants. Avec leurs longs cheveux qui flottent au soleil comme des crinières de chevaux sauvages, elles s’affrontent.
À leur retour, leur grand-mère qui les élève depuis une décennie, les attend de pied ferme pour les punir. Tout le village est au courant de leur conduite jugée obscène. Elles se seraient frottées l’entrejambe aux nuques des garçons. Leur oncle Erold arrive furieux chez sa mère et amène illico les trois sœurs les plus âgées à l’hôpital afin de faire attester leur virginité. Le recours à la science est requis.
Du jour au lendemain, ces jeunes filles sont privées de liberté, coupées du monde extérieur. Adieu portables, ordinateurs, livres, écoles, vêtements modernes. Elles sont priées de rester vivre à la maison qui va devenir peu à peu une usine à marier. La famille se charge de les y préparer, cours de cuisine et de couture inclus.
Mustang, premier long-métrage de la réalisatrice Deniz Gamze Ergüven, a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes cette année où il a remporté un vif succès. Il vient de recevoir trois Césars et, au mois de février, il a représenté la France aux Oscars. Dans un hors-champ[1], la réalisatrice a expliqué que ces cinq filles ont perdu leurs parents jeunes et sont issues d’un milieu bourgeois, citadin. Elles se retrouvent comme des « étrangères » dans ce village rural au bord de mer. Leur famille leur a donné beaucoup de liberté du fait de la perte de leurs parents. Soudain, un autre discours apparaît au moment de leur puberté. La conduite de ces jeunes filles est jugée indécente, sexualisée, et plonge ces dernières dans l’incompréhension. Erold, l’oncle incestueux, sait ce qu’est une femme. Les sexes sont ainsi séparés et figent le non-rapport sexuel[2].
Le scénario de Mustang a été écrit à toute vitesse, vingt heures par jour. Le rythme du film s’en ressent. Deniz Gamze Ergüven – la sixième fille du film –, a voulu transmettre l’image d’une Turquie « vivante, fougueuse, très jeune », prise aussi dans ses contradictions. Pays où les femmes ont obtenu le droit de vote en 1934, soit dix ans avant la France et sont rentrées en force au parlement turc en 2015 : 96 sur 550 députés. Chiffre record ! Mais la situation des femmes s’est dégradée tant dans les discours que dans des actes de violence.
La réalisatrice pose la question à travers ces jeunes filles de ce qu’est une femme [en Turquie]. Au début du film, nous passons très rapidement de la beauté du paysage à une tragédie. Au travers des gros plans des visages, Deniz Gamze Ergüven a voulu « filmer la perte de la liberté au pied de la lettre ». Malgré ce réel, ce film est aussi très gai et vivant. Lale, la plus jeune des sœurs, héroïne de Mustang, apparaît comme la plus déterminée à ne pas se laisser faire. Le mode de jouir et l’ébauche du fantasme sont esquissés pour ces jeunes filles dans leur rencontre avec l’Autre sexe. Fini le groupe des filles, à chacune de trouver sa réponse face à l’inexistence du rapport sexuel.
[1] Gamze Ergüven D., Hors-champ, France Culture, émission du 17 juin 2015.
[2] Miller J.-A., « En direction de l’adolescence », Interpréter l’enfant, collection La petite Girafe, n°3, Navarin, 2015, p. 201.