Ouverture à la Journée Question d’École du 23 janvier 2016
Cette journée s’inscrit dans la continuité d’une série intitulée Question d’École. Elle entre plus précisément dans le travail d’École qui, sous la présidence de Patricia Bosquin-Caroz, s’est centré deux années durant sur la formation du psychanalyste : le contrôle de l’expérience analytique dans le dispositif de la passe qui authentifie le passage à l’analyste, et le jugement de la pratique dans le cadre du contrôle. Les problèmes cruciaux relatifs à la décision dans la passe et les usages du contrôle de la pratique ont été ainsi mis à l’étude dans leur actualité, également au cours de soirées de la passe et de la garantie. Ce travail s’est pour partie propagé dans les régions. Les ACF l’ont en effet relayé à travers des thèmes d’étude affines avec l’élaboration dans l’École, contribuant à rendre le contrôle désirable, la passe agalmatique pour certains, attestant de la spécificité de cette formation qui pour être exigée de l’École, n’en reste pas moins une affaire de goût et de désir.
Question d’École est à cet égard un de ces événements qui sont des interprétations du désir en marche dans une école.
Son adresse, c’est d’abord la communauté de l’École, celle de ses membres en premier lieu, mais aussi une communauté de travail qui s’étend au-delà. A porter à la connaissance du public ces questions, en rendant visibles et lisibles nos débats, l’objectif était en outre de faire connaître la vitalité de la psychanalyse lacanienne à propos de la pratique mais également dans son inscription dans les débats de l’actualité. Cette ouverture a donné au concept de cette Journée une autre dimension, celle de rendre l’École plus accessible, à un moment où l’exigence de garantie et de sécurité est plus que jamais d’actualité. Il s’est agi, à chaque fois, de faire valoir la force inventive de la singularité du symptôme.
Pour la présente journée, le thème de la passe conjugué au moment présent a jailli au cours d’une réunion du Directoire. Au lendemain des 45èmes Journées d’études de l’ECF, ces Journées-qui-n’ont-pas-eu-lieu, le travail de notre École s’est brusquement trouvé noué à un événement terrible, celui des attentats de la soirée du 13 novembre dernier. Ces événements sanglants qui nous ont bouleversés, en un sens changés, nous ont instantanément conduits à la réserve. Ils nous obligent aujourd’hui à l’élaboration qu’il convient de donner à la sensation, à l’émotion.
Nous nous sommes trouvés d’autant plus concernés que nous sommes membres de cette École, – une École, et en particulier le dispositif de la passe, qui a pour objectif de produire des analystes dont on peut attendre qu’ils soient en phase avec la subjectivité contemporaine. Ces événements nous poussent à comprendre, c’est-à-dire à rendre intelligible le moment présent, la Babel des discours dans laquelle nous sommes pris, afin de rester vigilants aux conditions du lien social qui rendent possible la pratique de l’expérience analytique aujourd’hui.
Le thème du présent se motive donc par la nécessité de nous orienter dans l’actualité. Sa durée, ses contours sont complexes. Remarquons qu’il a le plus grand rapport avec l’expérience analytique, il habite chaque séance d’analyse. Ce n’est pas un présent instant, c’est un présent lesté d’une épaisseur de corps. Dans son « Érotique du temps », paru dans La Cause freudienne 56, J.-A Miller développe cette dimension du temps comme « présent épais » et remarque que Lacan le signale discrètement dans le Séminaire V : « Nous ne pouvons absolument pas nous contenter d’un présent instantané, toute notre expérience va là contre ». Car un discours a « une dimension dans le temps, une épaisseur. » (p. 15)
Cette épaisseur du présent de l’expérience, n’est-ce pas le sens à donner à la présence de l’analyste ? J.-A. Miller souligne que dans une séance d’analyse le sujet est amené a faire « l’expérience pure de la réversion temporelle ». Le propre de cette expérience dans l’analyse, précise-t-il, est que l’analyste incarne simultanément deux mouvements. Il incarne à la fois, le fait de précipiter ce qui se dit dans le passé, l’inscription passée de la parole (illusion structurale « que le passé était là avant l’expérience même du présent. C’est l’illusion du c’était écrit »). Et à la fois, l’analyste pousse à reporter ce passé au présent, car ce qu’il se voue à incarner, il le réalise au présent comme corps vivant.
La présence de l’analyste touche à cette visée d’une acuité spéciale, que chaque séance se fasse au présent, qu’elle pousse au réel. C’est en tant que clinique du corps parlant que l’analyse a cette temporalité propre. Elle met en jeu ce qui, du corps, parle au présent sans que ça puisse s’inscrire dans le savoir articulé de l’histoire.
C’est pourquoi, pour la construction de cette journée, nous nous sommes adressés d’une part, à la Commission de la passe pour qu’elle témoigne, au terme de deux années de fonctionnement, de la clinique actuelle de la passe, soit de la clinique du parlêtre au moment où elle se resserre dans la passe.
Du moment présent de cette commission, nous pouvons dire qu’il se caractérise par une certaine ferveur, un certain agalma de la passe, à tout le moins une vivacité si l’on en juge par le nombre de demandes de passe, et le nombre de nominations. C’est le témoignage que l’expérience de relance de la passe initiée par J.- A. Miller en 2009 porte ses fruits. Sa veine épistémique s’appuie sur la pratique de la psychanalyse telle qu’elle est. Elle ne fait pas référence à ce que doit être une analyse mais à une pragmatique de la passe, un réalisme de celle-ci. C’est pourquoi la conjonction avec le thème du prochain congrès de l’AMP – qui se tiendra en avril à Rio – L’inconscient et le corps parlant, n’est pas forcée mais s’enracine dans l’expérience elle-même, dans les témoignages des passes actuelles. Vous l’entendrez notamment à travers les exposés de six membres de la Commission de la passe qui ont souhaité prêter l’oreille à la variété de l’expérience analytique au moment où elle passe par le chas de la passe.
Nous avons invité d’autre part, les Analystes de l’École récemment nommés, à présenter aujourd’hui leur premier témoignage. Nous entendrons six occurrences de la fin d’une analyse au présent. Ces analystes s’adresseront à nous, chacun de façon inimitable pour décliner ce dire de Freud, « On apprend la psychanalyse d’abord sur son propre corps » ( Introduction à la psychanalyse, « Première partie. Les actes manqués »).
Je m’adresse maintenant à ces nouveaux AE pour leur dire ma gratitude au nom de cette École pour leur contribution engagée à la clinique de la passe, au savoir, à la transmission de la psychanalyse.
Le sentiment du présent, dans sa complexité aiguise un appétit de travail, qui implique de ne pas se précipiter, de ne pas se hâter dans la compréhension, au risque de liquider bien vite le réel au nom de prétendues réalités. En intitulant sa leçon inaugurale au Collège de France « Ce que peut l’histoire », Patrick Boucheron a problématisé admirablement ce que peut l’histoire dans l’intelligence du présent, en particulier à revenir sur ses soubassements théologiques et politiques. Dans notre champ, gageons que nous saurons soutenir un travail sur ce que peuvent les corps parlants.