Grâce à Jean-Luc Monnier et Pierre-Gilles Guéguen, se tient actuellement à Rennes un Séminaire sur le dernier cours d’Éric Laurent, qui permet d’approfondir, et parfois tout simplement de comprendre, les notions nouvelles, denses et complexes développées tout au long de ces huit séances disponibles sur Radio Lacan.
Le cours d’É. Laurent donne un axe de travail précieux en direction du prochain congrès de l’AMP sur le corps parlant : « Comment parler la langue du corps ? »[1]
Le corps appareillé par lalangue s’oppose au concept du corps de la science : « le paradigme contemporain veut faire taire le corps, réduit au comportement »[2] – pur sujet de la cognition ou du comportement. Ici s’offre une nouvelle orientation différentielle aux autres approches du sujet et du langage. Le corps n’est plus rabattu sur l’émotion ou l’affect tels qu’ils sont pris en compte par le discours du maître contemporain.
Le corps est d’abord défini par É. Laurent dans son sens strict, à savoir en tant qu’il s’oppose aux incorporels. É. Laurent nous invite alors à « énumérer » ce qui est hors-corps et qui ne cesse « de vouloir rentrer dedans »[3], à savoir les objets a. « Parler lalangue du corps revient à énumérer les sous-ensembles de la jouissance dans leur statut hors-corps. »[4] Prenons la voix en exemple. Comment s’énumère-t-elle ? Si sa seule porte d’entrée au corps reste l’oreille, elle s’énumère pourtant par de nombreux objets techniques : le téléphone, le GPS, la voix enregistrée d’Hitler ou des djihadistes ordonnant au corps sa jouissance sur le versant du pire.
Mais dans « Radiophonie » Lacan l’a prise sur le versant de l’exploit relatif : « Le LEM alunissant, soit la formule de Newton réalisée en appareil »[5]. Ce qui s’appareille dans la mission Apollo XIII vers la Lune, avortée suite à l’explosion d’un réservoir, c’est d’abord la voix : « Houston, on a un problème. » Se déduit donc qu’« il y a les objets réels qui soutiennent le lien aux objets techniques. Si les astronautes n’avaient pas pu échanger avec Houston, ils seraient probablement morts ; les objets techniques ne fonctionnent pas tous seuls »[6]. Il nous reste la tâche d’énumérer d’autres exemples afin de donner à ce Cours ses résonnances dans l’interprétation de la modernité.
Le travail d’extraction et d’explicitation du Cours d’É. Laurent fait par J.-L. Monnier et P.-G. Guéguen ne procède pas de l’objet, mais du langage dans son lien au corps, mettant en valeur la façon dont le langage se lie à la jouissance, sans l’entremise d’un objet technique. Dans l’idée de saisir le langage dans sa rencontre avec le corps, se mesure aussi combien Joyce était désabonné de la langue, ainsi que les conséquences. J.-L. Monnier remarque que « dans la névrose, le symptôme renvoie à un au-delà du langage ; l’équivoque, l’interprétation. « Chez Joyce, dit-il, il n’y a pas d’au-delà du langage »[7]. Il existe en effet « un type de manque qui n’appartient pas au langage »[8], souligne P.-G. Guéguen. Cette nouvelle assertion pose le problème de cet « au-delà » différemment, et l’éclaire. Que signifie alors parler lalangue du corps, à partir de ce type de manque, de cet au-delà ? N’y a-t-il pas la place pour une nouvelle lecture des inventions, des objets lathouses de la science, à partir de cet au-delà du langage ?
Ces questions convoquent les psychanalystes qui trouveront dans ce Séminaire un lieu précieux où poursuivre leur formation : comment maintenir vivants les objets réels du désir, qui soutiennent en amont les objets techniques, dans la clinique contemporaine des sujets lathousés ? Comment saisir au plus près le lien qui attache le LEM à LOM[9] ?
[1] Laurent É., « Parler lalangue du corps », 2014-2015, disponible sur Radio Lacan : http://www.radiolacan.com/fr/topic/583/3
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Lacan J., « Radiophonie », in Autres écrits, Paris, Seuil, 2005.
[6] Laurent É., « Parler la langue du corps », op. cit.
[7] Monnier J.-,L., Séminaire ECF Rennes, 5 décembre 2015.
[8] Guéguen P.-,G., Séminaire ECF Rennes, 5 novembre 2015.
[9] Miller J.-,A., Quatrième de couverture, Autres écrits, Paris, Seuil, 2005.