Vous êtes invités au Théâtre de Châtillon (3, rue Sadi Carnot, 92320 Châtillon) le vendredi 8 janvier 2016 à partir de 20h30 pour assister à la représentation de La Cerisaie, mise en scène par Gilles Bouillon, et participer au débat Café Psychanalyse de l’ACF-Île de France intitulé « Malaises de civilisation » qui se déroulera après la représentation de la pièce de Tchekhov avec pour invités Lilia Mahjoub et François Regnault (habitués de ces débats) et en présence du metteur en scène et des comédiens. Un conseil : Réservez vos places auprès du Théâtre de Châtillon au 01 55 48 06 90 ou par Internet sur le site billetterie@theatreachatillon.com
Vous pouvez aussi visiter le site du Théâtre : www.theatreachatillon.com
Venez nombreux.
Dernière pièce d’Anton Tchekhov (écrite entre 1901 et 1904 peu avant son décès), La Cerisaie ouvre le XXe siècle, elle annonce et précède la grande révolution d’octobre 1917 qui bouleversera les fondements de la culture russe et européenne. Par ce texte resté longtemps en suspens, Tchekhov se voulait sortir de l’ennui des « écriveurs de pièces »[1] comme il le soulignera dans sa correspondance : « Le pire dans cette pièce est que je l’ai écrite non pas d’une pièce, mais longtemps, très longtemps, ce qui fait qu’on doit sentir une sorte de pesanteur »[2].
La Cerisaie annonce en effet la fin d’une civilisation, celle des maîtres et des moujiks dans laquelle les maîtres se trouvaient dispensés de « travailler » confiant cela aux moujiks, et elle annonce la naissance de ce que nous nommons aujourd’hui la mondialisation à savoir, comme le proclame dans la pièce Lopakhine l’acheteur de La Cerisaie : « Jusqu’à présent, dans les campagnes, il n’y avait que des maîtres et des moujiks ; maintenant, en plus, il y a les estivants. Toutes les villes, même les plus petites, sont entourées de datchas. Et ça, on peut le dire, l’estivant, dans une vingtaine d’années, il se sera multiplié jusqu’à l’extraordinaire » (acte I)[3]. Lopakhine, fils de moujiks, représente l’ascension sociale de ceux qui vont faire fortune en se faisant entrepreneurs en lieu et place des anciens maîtres, nantis oisifs. Lioubov Andreevna, l’ancienne propriétaire de La Cerisaie lui rétorque : « Les datchas, les estivants – pardonnez-moi, mais c’est d’un vulgaire » avant de reconnaître ses péchés de nantie : « J’ai toujours jeté l’argent par les fenêtres, à pleines mains, comme une folle, je me suis mariée avec un homme qui n’était bon qu’à faire des dettes »[4] et Firs le vieux laquais de 87 ans pointe le changement en cours de la civilisation : « maintenant, tout est sens dessus dessous »[5] (acte II). Au moment de la vente effective de La Cerisaie, Lioubov Andreevna crie sa résignation : « Moi, je suis née ici ; c’est ici qu’ont vécu mon père et ma mère, mon grand-père, j’aime cette maison, je ne comprends pas ma vie sans La Cerisaie, et s’il faut décidément vendre, eh bien, qu’on me vende avec La Cerisaie… »[6], ce à quoi Lopakhine répond : « J’ai acheté le domaine où mon père et mon grand-père étaient esclaves, où ils n’avaient même pas le droit d’entrer à la cuisine » et triomphant clamera : « Que tout soit à mon désir ! Place au nouveau maître, place au propriétaire de La Cerisaie »[7], dont il fera abattre les arbres pour construire les datchas des estivants (acte III). Il ressort que le nouveau maître entrepreneur tombe lui-même dans le mode de jouissance des anciens nantis, il déclare après son achat de La Cerisaie : « Je suis épuisé de ne rien faire. Je ne vis pas, sans travail, tiens, je ne sais pas quoi faire de mes bras ; ils ballottent bizarrement, comme s’ils étaient à quelqu’un d’autre »[8] (acte IV).
[1] Lettre d’Anton Tchekhov à sa femme datée du 16 mars 1902, citée dans l’ouvrage La Cerisaie d’Anton Tchekhov, théâtre traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan, collection Babel n° 51, Actes Sud, page 134.
[2] Ibid., Lettre d’Anton Tchekhov à sa femme datée du 12 octobre 1903, p. 152.
[3] Tchekhov A., La Cerisaie, op. cit., p. 26.
[4] Ibid., page 48.
[5] Ibid., page 53.
[6] Ibid., page 74.
[7] Ibid., pages 86-87.
[8] Ibid., page 91.