Paris, préparation à PIPOL 7, 15 avril 2015
Le 15 avril dernier, se tenait à Paris une soirée préparatoire au prochain congrès de l’EuroFédération de Psychanalyse, PIPOL 7, dont le thème est cette année « Victime ! » (les 4 & 5 juillet à Bruxelles). Préparation issue d’un satellite à Victime !, qui lui donnait son titre : la sécurité. En sous-titre, l’annonce pointait le cadre : Force des États et lien social. L’invitation à cette soirée laissait donc entendre une question : comment nous débrouillons-nous aujourd’hui, à l’heure des attentats multiples en Europe qui ont vu des exactions particulièrement violentes ? Question, car s’orienter dans les politiques publiques en ces matières n’a rien d’une évidence.
C’est ce que nous fera entendre Corentin Segalen, que les responsabilités ministérielles actuelles et le parcours universitaire depuis plusieurs années en matière de sécurité (tant en France, à Toulouse ou Paris, qu’au Royaume-Uni, à Londres), ont amené à établir un certain nombre de constats qui démentent les a priori nombreux que l’on peut avoir sur ces questions. Il dira combien, pour lui, le 21 avril 2002, qui a vu le Front National au second tour de l’élection présidentielle française, a fait signal, dès cette époque-là, d’un enjeu à travailler alors qu’il était militant à Paris.
C. Segalen nous livrera ainsi quelques notions qu’il est bon de rappeler. Ainsi, la transparence de la Police ne s’oppose pas à l’ordre public (voir à ce propos les émeutes de 2005). La prison, pour sa part, a tendance à accentuer fortement l’ancrage d’un délinquant dans la délinquance. Quant à l’insécurité, si l’on regarde les chiffres, C. Segalen soulignera que le pays n’a jamais été aussi sûr qu’aujourd’hui : 770 meurtres en 2014, lorsque ce chiffre dépassait les 2200 dans les années 1960. Mais, si les chiffres rassurent parfois (C. Segalen mentionnera sur ce point les dégâts de la course aux objectifs quantitatifs pour la Police, rivée sur l’idée de devoir « faire du chiffre »), Éric Laurent va faire porter l’accent sur ce qui leur échappe dans le contemporain, en livrant une formule choc : l’avenir du non-quantifiable est le passage à l’acte.
D’une certaine manière, cette soirée fut une ponctuation dans les vagues médiatiques qui augmentent la confusion dans laquelle nous mettent les actes terroristes récents. Car, qui est garant du maintien de l’ordre dans ce moment ? Guy Briole va attirer notre attention sur une reconfiguration de la Police et de l’Armée, en montrant combien le déplacement des commandements, voire l’abandon d’un certain nombre de prérogatives confiées jadis aux militaires, finissent par jeter le trouble sur la question de la sécurité publique. Sur cette ligne, il insistera sur le décalage qui existe entre les menaces terroristes et la gestion publique de ces menaces, dont l’étude ou l’observation est désormais confiée par exemple à des laboratoires privés.
Cela fut l’autre apport de cette soirée, conduite par Jean-Daniel Matet, Président de l’EuroFédération de Psychanalyse, en présence d’un public extrêmement nombreux et attentif à l’ECF : il n’y a pas que les États qui sont concernés par la gestion de la sécurité. Il y a aussi chacun qui est concerné par la formidable expansion des données recueillies en matière de santé ou de psychisme, par des entreprises privées spécialisées dans le numérique, notamment. É. Laurent pointera d’ailleurs ce qui échappe au périmètre bureaucratique et s’est déplacé vers une technologisation toujours plus poussée du marché.
Ce marché, Jacques-Alain Miller, depuis la salle, va en reprendre la notion et produire un éclairage saisissant : Victime !, pour la psychanalyse, est d’abord une question de parole. Le phénomène nouveau, ce sont les victimes, aujourd’hui, qui le sont au titre d’une désorientation dans le discours du maître, auquel le Un, notamment islamique, vient faire pendant, dans un espace qui n’est plus géographique mais topologique. Un caricaturiste dessine-t-il à Paris que deux heures plus tard, des exactions sont commises à plusieurs milliers de kilomètres. Précipitation de l’instant de voir. L’adhésion populaire à la Police s’en trouve également changée, puisque nous voilà précipités aussi dans les bras du discours du maître comme ultime abri. J.-A. Miller apportera au passage cette distinction entre la Police anglaise et la Police française, en ceci que la première n’a pas commis le Vel’ d’Hiv’, ce qui en France change la donne.
Quelles perspectives alors pour la psychanalyse ? J.-A. Miller soulignait non sans malice et humour que la psychanalyse n’a pas à être auxiliaire du maintien de l’ordre, puisque son terrain est d’abord celui du désir, non celui de la réhabilitation symbolique dans un monde qui n’est plus ordonné par le Nom-du-Père, qui n’est plus fondé sur la solidité des identifications. En ceci, les nouvelles victimes de la désorientation dans le marché tapent aux portes. En cela, le thème de PIPOL 7 se trouve densifié à l’issue de cette soirée préparatoire.