Mariana Alba de Luna nous introduit à la découverte du travail de l’artiste de street art, Christian Guémy, qui met notamment en tension des portraits de scientifiques et, pour chacun, un objet appartenant à son domaine de recherche et par là interroge le lien entre création scientifique et création artistique.
Christian Guémy, alias C215, est un artiste graffeur pochoiriste français, reconnu dans le monde du street art. Cette exposition a ceci de singulier que ce n’est pas sur les murs des villes qu’il s’est employé cette fois à laisser une trace, mais sur des objets scientifiques issus des laboratoires de recherche que le CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique, créé par Charles de Gaulle après la deuxième guerre mondiale) a confiés à l’artiste. Le résultat : trente-cinq étonnants portraits de chercheurs célèbres dans le champ de la science, et même de personnages de la science-fiction, qui nous intriguent par leurs formidables coloris, mais surtout par l’idée extraordinaire d’avoir été réalisés à partir d’objets rebuts. Les objets de l’homme de science sont détournés pour y fixer son visage, devenant ainsi des œuvres d’art poétiques, drôles, émouvantes, propices à raconter des histoires, auparavant si secrètes. Ces œuvres paraissent dénoncer à quel point l’homme reste rivé à l’objet et comment il arrive parfois à la science de se rapprocher dangereusement de la fiction.
Sur un tube détecteur de traces de particules, le portrait de Georges Charpak, prix Nobel de physique décédé en 2010. Sur une boîte, le célèbre chat de l’expérience de pensée du paradoxe d’Erwin Schrôdinger (1935), qui d’ailleurs ainsi représenté interroge : est-il mort ou vivant ? Sur un tube à essai de « résistance à l’écrasement », Isaac Newton qui se demandait à l’origine pourquoi la lune ne tombe pas. Sur un acte notarié datant de 1633, date de la mort de Galilée, son portrait et la légende autour de son procès intenté par l’Inquisition pour avoir affirmé que la terre tourne autour du soleil : après avoir été obligé d’abjurer à genoux, il aurait murmuré en se relevant « et pourtant, elle tourne ». Sur une vieille boîte de film, Jean Cocteau dit, au sujet du film qu’en 1960 le CEA lui demande : « À l’aube d’un monde, la science confie à un poète l’honneur d’être votre guide. »
Einstein, Pierre et Marie Curie, Jean-Baptiste Charcot, Jacques Monod, Frédéric Jolliot, et tant d’autres, mais aussi Luke Skywalker, Yoda ou même le chanteur David Bowie sur le miroir d’un télescope, y sont représentés avec leur objet qui nous livre une partie du secret qui les a fait naître. Deux processus de création, celui de l’artiste et celui du scientifique, entrent ainsi dans un dialogue que le XXIe siècle ne cesse plus d’avoir, mais dont le poète semble avoir disparu.
C215 met de la poésie et de l’émotion au cœur du désincarné, du déchiré, du fracturé, du laissé-pour-compte. Dans une interview accordée à Libération en 2013, il dit : « La ville préexiste à mon travail. Il ne fait que s’ajouter, il la complète. C’est un art de l’altération, en perpétuelle évolution. » L’énigmatique C215 dit avoir commencé son street art après avoir vécu une séparation douloureuse avec la mère de sa fille. Pour ne pas se faire oublier de sa fille Nina, il a voulu lui laisser une « trace » de sa présence en réalisant des portraits artistiques d’elle sur les murs des rues qu’elle empruntait tous les jours pour aller à l’école. Il voulait lui délivrer un message. La rue devient alors pour lui une galerie à ciel ouvert qu’il n’arrêtera plus d’explorer. Au sujet de l’origine de son nom d’artiste, sa signature enfermée artistiquement dans un cube, il ne dit rien, ou presque rien : « C215 est une anecdote de ma vie, une pièce ; ça représente un truc froid, mécanique, une référence dans ma vie. »
« Les portraits fragmentés si singuliers de C215 viennent d’un état émotionnel torturé, un sentiment psychologique personnel brisé, que l’artiste insuffle dans la majorité de ses pochoirs, tous méticuleusement découpés à la main. Si ses œuvres gratuites et périssables sont le souvenir inaltérable pour chacun de sa personnalité parfois disloquée, de ses propres blessures, elles sont aussi le reflet d’une conscience collective, la même qui scande l’importance de l’Humanité dans la société actuelle. Les murs ne sont que le support de cet “art moyen” qui est l’Art de la rue, et non l’art de rue, comme C215 aime à le rappeler. », selon le photojournaliste Etienne Gallais.
*Exposition. Jusqu’au 19 avril au Musée des Arts et Métiers, 60, rue Réaumur, 75003 Paris.
http://urbanart-paris.fr/2013/04/sur-les-traces-de-c215-le-roi-du-scalpel/
http://www.cea.fr/le-cea/e-mc215.-dialogues-entre-sciences-et-art-151742
http://urbanart-paris.fr//wp-content/uploads/2013/04/IMG_3870-1.jpeg