Mme N. vient au CPCT parce qu’elle ne comprend plus son fils Yohan, âgé de vingt ans.
Elle a eu « une adolescence carabinée, un père pédagogue qui la dévalorisait et une mère régisseuse ». À dix-sept ans, après une dispute avec son père, elle s’enfuit avec un « bad boy » et arrête ses études. Elle pensait l’aimer, il était intelligent et incarnait la liberté.
Enceinte à dix-neuf ans, elle dit avoir eu « un flash », réalisant que le père de son enfant était un truand se croyant supérieur à tous, condamné à des peines de prison. Or, devenue mère, « elle ne veut plus de bêtises ». Elle rompt et élève seule son fils. Mère câline tant qu’il est bébé, elle le tient à distance lorsqu’il a trois ans. « Je surveillais son œdipe » me dit-elle. Elle est présente, subvient à ses besoins, mais ne peut plus le câliner car il ressemble à son père.
Yohan semble être tombé malade à l’âge de dix-sept ans, suite à une liaison amoureuse. S’en suivront de longues périodes d’errance. Mme N. demandera l’aide de plusieurs personnes : des éducateurs, une association de parents et un psychiatre pour elle-même.
« Un virage à 180° »
Mme N. est tendue lorsqu’elle évoque son fils, son visage est crispé, elle relate les disputes, les manœuvres de son fils pour lui soutirer de l’argent, son laisser-aller complet et ses dents pourries. « Il n’est plus sous ma responsabilité depuis qu’il a dix-huit ans », plaide-t-elle. Puis : « J’ai fait des choses horribles : les éducateurs m’ont expliqué qu’il fallait un éloignement familial pour Yohan, ils me demandaient de ne pas l’aider. C’est allé très loin. » En effet, il s’est fait renvoyer du foyer d’hébergement. Elle l’a laissé à la rue, a coupé tout lien avec lui, témoignant alors de son côté d’un sentiment de liberté, mais d’un « flottement inouï ». Elle me dit : « Il allait mal, c’était l’horreur de le voir comme cela, alors j’ai donné la main à mon fils. » Elle le reprend chez elle mais au prix de nombreux conflits qui la débordent. Elle perd parfois la voix d’avoir crié. Elle le reprend, à la façon d’une régisseuse – comme sa mère, repère-t-elle. Elle le met dehors tôt le matin quand elle part au travail, mais elle se sent mal de le voir rester là, désemparé, à côté des boîtes aux lettres de son immeuble.
– « Il reste à côté des boîtes aux lettres ? … C’est une adresse que vous lui assurez, c’est important pour lui. »
Mme N. surprise acquiesce, soulagée. Par la suite mes interventions viseront à la soutenir dans sa place de mère prenant soin de son fils. Quand elle doit s’absenter pour le travail, il l’appelle parfois car il est en détresse. Il lui demande de venir le chercher. Parfois elle ne veut pas être dérangée, elle ne répond pas. Elle est alors inquiète, ne dort plus et se met en colère quand, décidant de le secourir, elle s’aperçoit qu’il a trouvé une solution et la laisse en plan. Elle ne comprend pas qu’il l’appelle alors qu’il sait qu’elle est loin.
– « Il a besoin de vous parler, ou même d’entendre votre voix sur le répondeur quand vous ne pouvez pas lui répondre. »
Ensemble nous évoquons les aides extérieures qu’elle recherche : ses parents prennent le relais le week-end, un ami lui loue un appartement et prend Yohan sous sa coupe, « entre hommes ».
Je lui indique que son fils est malade et qu’il faudrait qu’il consulte. Ce signifiant « malade » l’arrête, la questionne et l’apaise. Les consultations pour son fils auprès d’un collègue précisent cette ébauche diagnostique. « Il a dit que ça ne passerait pas comme ça, il a parlé de psychiatrie. » Elle prend cela très au sérieux. Elle me dit être plus douce, elle était « braque ». Elle me dit qu’elle l’entend et qu’elle s’est entendue. « Vous ne vous rendez pas compte, j’ai fait un virage à 180°. » Yohan ne supporte pas la vie, seul dans son propre appartement et va manifestement très mal. Mme N. accepte de le reprendre chez elle, mais avec un protocole médical. Elle sait maintenant qu’il est malade. « Je souhaite continuer à l’aider, mais ne pas recommencer à l’identique. »
Régler la distance à l’Autre
Par trois fois, les aides que Mme N a sollicitées visaient à la séparer de son fils dans le réel. Les éducateurs ont imposé l’éloignement, l’association de parents lui a conseillé de ne plus l’aider pour se protéger, son psychiatre lui a dit : « Je ne peux plus vous aider, vous ne voulez prendre aucun risque avec les hommes, revenez quand vous parlerez de vous. »
Mme N. remarque que je l’invite à parler d’elle. Elle me dit : « Nous avons parlé de beaucoup de choses la dernière fois, mais je reviens toujours à mon fils. »
– « Oui, pour le moment vous avez besoin de parler de lui et de vous. »
Par la suite, Mme N parle de son fils et d’elle-même, de ce qu’elle met en place pour lui, de ce qui la soutient, elle.
Elle a un métier qui lui plaît, où la féminité et l’apparence comptent. Elle s’y sent indépendante. C’est un milieu où il n’y a pas de cadre ou d’habitudes préétablies. Cela lui convient parce que c’est elle qui instaure des règles.
Mme N. aborde sa relation aux hommes. Elle dit : « Je me tiens à distance des bad boys, mes vieux démons, parce que je suis maintenant une femme respectable. » Elle fréquente un homme qui souhaiterait construire une vie de couple. Elle constate qu’elle veut rester indépendante. Elle sait être affective, mais n’a pas les « sentiments adaptés » pour vivre avec quelqu’un.
Reprendre une vie normale
Lors de ces séances, Mme N. a exposé ce qui la soutient, ce qui lui permet de régler son lien à l’Autre. Le lien à son fils échappe à cette formule et la pousse vers la haine. Elle vient traiter ce qui dans le lien à son fils ne trouve pas à se symboliser, rendant inhumaine la séparation et impossible la vie sous le même toit. Le signifiant « malade » permet à Mme N. de tenir une place, celle d’une mère « respectable » qui prend soin de son fils. Les entretiens se terminent quand, Yohan allant à nouveau mal, Mme N. conclut que « cela doit maintenant passer pour lui par le CMP ». Elle se sert de ce signifiant « malade » pour introduire une respiration dans leur couple, sans le livrer à la rue. Elle peut envisager une séparation d’avec son fils qui doit être soigné et « veut essayer de reprendre une vie normale ».