À une époque où être écouté semble devenu un droit et où la parole circule en permanence – sur les réseaux sociaux, dans les médias, dans l’espace thérapeutique en pleine expansion –, qu’en est-il de la demande en psychanalyse ? De quoi est-elle le nom aujourd’hui ? Entre l’exigence de solutions rapides et le mal-être diffus qui traverse notre société, la place de la psychanalyse se précise : elle n’est ni un service parmi d’autres ni une réponse préformatée aux souffrances contemporaines, mais un lieu où une demande véritable peut émerger et se transformer.
Les pratiques actuelles de la consultation montrent bien l’ambiguïté de cette demande. Souvent, elle se formule dans l’urgence, sous l’effet d’une souffrance insupportable, ou, au contraire, elle peine à s’articuler, masquée derrière des attentes floues. À l’heure où la prévention et l’évaluation façonnent le discours dominant, la parole semble parfois réduite à une fonction utilitaire. Pourtant, une analyse ne se prescrit pas comme un médicament. Elle ne vise pas l’adaptation sociale ni un mieux-être standardisé. Elle nécessite qu’un déplacement s’opère : passer d’une plainte à une véritable question, d’un malaise à un désir de savoir. Mais comment cette bascule advient-elle ?
Il n’y a pas de psychanalyse sans rencontre. Celle-ci ne se joue pas uniquement dans le lien à l’analyste, mais d’abord dans la façon dont le sujet rencontre sa propre parole. L’amour lui-même illustre ce mouvement : il surgit là où un mot touche, résonne, ouvre un espace inédit. De la même manière, l’analyse permet qu’une parole échappe à la répétition des discours convenus pour devenir un événement, un lieu de surprise où quelque chose de vivant pulse différemment. Si la parole sous transfert peut ainsi modifier un rapport figé au symptôme, c’est parce qu’elle crée la possibilité d’une réécriture, d’une relecture de ce qui faisait destin pour le sujet.
Mais encore faut-il qu’il y ait un désir d’analyse. Celui-ci ne va pas de soi. On ne se lance pas dans cette aventure simplement pour mieux se connaître. C’est la souffrance, le malaise ou l’impasse qui poussent à parler, mais ce qui fait l’analyse, c’est le déplacement de cette demande initiale vers une autre question : non plus comment aller mieux ? mais qu’est-ce que cela dit de moi ?
Ce numéro explore ces différentes facettes de la demande et de la rencontre, et nous invite à interroger ce qui, dans le discours contemporain, appelle encore à l’expérience analytique.
Hervé Damase et Cécile Favreau de Rivals