Les contes ne sont-ils pas parfois des « fiction[s] préfabriquée[s]1 », pour reprendre les mots de Daniel Roy, qui peuvent fournir sa matière signifiante et imaginaire au fantasme ? Cette question fut mise à l’étude lors d’un après-midi intitulé : « Entre rêves et fantasmes, que nous enseignent les contes ?2 »
La réalité : montage du symbolique et de l’imaginaire
Dans le Séminaire La Logique du fantasme, Lacan fait du fantasme ce qui est soutenu, porté par la réalité humaine en tant qu’articulée au désir. Il précise que « toute la réalité humaine […] n’est rien d’autre que montage du symbolique et de l’imaginaire3 ». En soi, le fantasme est aussi un prêt-à-porter le sujet dans le monde. Il ajoute que le « réel, il importe de le distinguer de la réalité humaine. Il n’est jamais qu’entr’aperçu […] quand le masque vacille qui est celui du fantasme ».
Les contes
Les contes ont une structure très construite autour d’un personnage principal auquel il arrive des aventures, ainsi Le Petit Poucet met-il en scène la réponse à un fantasme des enfants interrogeant le désir des parents : Veulent-ils me perdre ? – question également isolée par Lacan dans son Séminaire XI4. Ce conte pose la question et, par les péripéties de l’aventure, y répond par la stratégie inventive de l’enfant qui élabore une façon de ne pas se laisser perdre. C’est, d’une certaine façon, une modalité de réponse préfabriquée sur laquelle le sujet peut prendre appui pour élaborer sa propre réponse à l’énigme du désir de l’Autre : l’enfant n’est pas abandonné, le réel de l’abandon par l’Autre est dans le conte mis en scène mais aussitôt résolu, à charge pour l’enfant qui le lit de se l’approprier et d’y glisser sa mise et ses propres signifiants.
Introduire un écart
Les histoires de zombies, comme l’indiquent des enseignants de maternelle, circulent actuellement dans les cours de récréation des enfants. Les figures de zombies, de morts-vivants viennent soit terroriser soit, au contraire, offrir un avenir à la mort, la possibilité d’un retour après la mort, une négation de la mort. Cependant, il est important de repérer que les modalités de se servir de ces fictions et autres contes sont très différentes, elles vont de l’identification au personnage, plus ou moins figure idéalisée, à l’envahissement par celui-ci, dévoilant alors le réel sous le semblant. Quand le « prêt-à-porter-le-fantasme5 » n’est pas là de structure, le conte, la fiction, y compris ceux modernes, ne peuvent-ils y pallier ? Nous avons eu écho d’un enfant aux prises avec les zombies. Le personnage idéalisé de cet enfant est CatNap, une peluche violette et noire représentant un chat avec une grande bouche dévorante, toujours ouverte, qui appartient à un groupe de peluches d’animaux, dont il est dit dans le jeu qu’il les aide à s’endormir. L’enfant n’est pas seulement amoureux de CatNap, il veut devenir CatNap ; et ce, pour pouvoir s’endormir lui-même. Lors d’une séance, ce sujet raconte un rêve : « Je suis avec mon amoureuse dans la cour de récré. Je m’embrasse et je deviens CatNap. » Ce n’est pas une identification, puisqu’il n’a pas l’appui du fantasme en tant qu’il fait tenir le corps. Le rêve, en tant que formation de l’inconscient racontée à son analyste, est une modalité qui lui permet néanmoins de créer un tenant-lieu de fantasme : être CatNap en rêve n’est pas la même chose que l’être de façon éveillée, c’est un écart qui a permis un apaisement significatif de cet enfant dans sa vie familiale et scolaire, un gain thérapeutique.
Marie-Claude Sureau
1 Roy D., « Fictions d’enfance », La Cause du désir, n°87, juin 2014, p. 10.
2 Après-midi organisé par les groupes Gribouille et Le Petit Prince du nouveau réseau CEREDA de l’Institut psychanalytique de l’Enfant du Champ freudien et l’ACF en Normandie.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien, 2023, p. 20.
4 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973, p. 194-195.
5 Lacan J., Le Séminaire, livre XIV, La Logique du fantasme, op. cit., p. 20.