Si le sujet supposé savoir permet de débuter une cure, sa destitution permet de la finir, l’analyste n’est plus rien que cet objet déchet, le « reste de la chose chue1 ». L’analysant restitue l’objet qu’il a incarné pour l’Autre à l’analyste. Dorénavant, le savoir supposé revient à l’analysant et il peut lui-même l’incarner pour d’autres, en devenant analyste.
À la fin d’une cure, le désêtre frappe l’être de l’analyste, mais le sujet n’en sait rien, « parce qu’il est devenu la vérité de ce savoir2 ». Devenu passant, le sujet est à même de cerner qu’une « vérité qui est atteinte pas-sans le savoir […], c’est incurable – on est cette vérité ». Le sujet supposé savoir recouvre la place du S(Ⱥ) derrière lequel se niche a – c’est cela, la vérité incurable. Ce S(Ⱥ) implique un savoir troué qui ne peut pas s’écrire.
Analyste, y es-tu ?
Lacan attribue un faux-être à l’analyste. Il y voit son origine dans l’opération d’aliénation : Ou je ne pense pas, ou je ne suis pas. En appliquant ce choix forcé à la place de l’analyste, nous obtenons : Ou je ne suis rien que cette marque, ou je ne suis pas cette marque. « Je répudie ce certificat3 », répond Lacan à quelqu’un qui lui dit être un psychanalyste-né. Car la seule façon d’être analyste, c’est de ne pas avoir le label – On ne naît pas analyste, on le devient.
L’être qui surgit de tout acte est, tout comme l’objet, un être sans essence. Ce sont les objets sans essence, les a, qui surgissent à chaque fois qu’un acte est posé. « L’objet petit a est la réalisation de cette sorte de désêtre qui frappe le sujet supposé savoir4 », dit Lacan. L’acte nécessite, par définition, de ne pas y être. L’acte analytique s’effectue sans y penser. Il est sans sujet. La destitution subjective est indispensable à la position analysante. « Le sujet associe, et librement. Il ne cherche pas à savoir s’il y est ou non tout entier comme sujet, s’il s’y affirme5 », précise Lacan. Il est donc logique qu’à la fin de l’analyse, la destitution revienne à la place de l’analyste. Lacan est très clair à cet égard : « Comme le sujet supposé savoir au bout de l’expérience analytique, c’est un sujet qui, dans l’acte, n’y est pas.6 »
Analyste, où es-tu ?
Finir une analyse donne lieu à un autre commencement, dit Lacan. C’est aussi un acte, celui de devenir psychanalyste. Dans mon cas, ce processus a eu lieu en trois temps.
Temps 1. Deux ans avant la fin de mon analyse, je demande à l’analyste une dédicace de son dernier livre. En signant, il dit qu’il n’a pas bien dormi et se trompe de prénom. Autrefois, j’aurais été en colère. Cette fois-ci, découvrir son lapsus calami me fait rire aux éclats. Cet instant de voir marque la chute du sujet supposé savoir. Il faudra néanmoins encore deux autres temps pour arriver à le situer à la place de l’objet.
Temps 2. Six mois avant la fin de mon analyse, je rêve que je suis en contrôle dans le salon de mes parents. Le contrôleur est assis dans le fauteuil de mon père. J’ouvre une porte et je vois que le fauteuil où il était assis a été englouti et l’analyste avec. Ce temps pour comprendre marque la place du sujet supposé savoir en tant que résidu, mais il faut encore un dernier temps pour que la nature de l’objet lui soit associée.
Temps 3. La dernière semaine de ma cure, je fais un rêve où je me rends en séance. Dans la salle d’attente, je ris avec des collègues. Une fois dehors, je constate : « Je ne suis finalement pas passée en séance et l’analyste, où était-il ? Je ne l’ai même pas entendu appeler les analysants ! » Dans ce moment de conclure, la chute du sujet supposé savoir s’associe ici à l’objet en tant que déchet : la voix, objet aussi bien cause du désir qu’instrument du surmoi qui me rendait morose. Petit a se détache de l’Autre. À ce moment-là, je constate qu’il n’y est plus. Si je suis devenue « la vérité de ce savoir7 », ce ne sera pas-sans ce savoir en tant que passante. Je repars avec le rire pour bricoler dans mon incurable8 vérité.
Dalila Arpin
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil/Le Champ freudien éd., 2024, p. 102.
[2] Ibid., p. 103.
[3] Lacan J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 572.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XV, L’Acte psychanalytique, op. cit., p. 109.
[5] Ibid., p. 110.
[6] Ibid., p. 104.
[7] Ibid., p. 103.
[8] Cf. Cioran E. M., Syllogismes de l’amertume, in Œuvres, Paris, Gallimard, 1995, p. 753 : « Être moderne, c’est bricoler dans l’Incurable ».
Texte issu de la soirée de la librairie de l’École de la Cause freudienne sur le Séminaire XV, L’Acte psychanalytique, qui a eu lieu le 28 mai 2024.