Dans un Hebdo-Blog récent, Jacques-Alain Miller faisait apparaître que la folie privée est celle du fantasme qui détermine la relation au monde du sujet. Lorsque cette folie privée se collectivise, on a alors affaire au fanatisme : « En cela, c’est une “folie privée” . La collectiviser, c’est passer du fantasme au fanatisme.1 »
Pour les jeunes d’aujourd’hui, la complexité de se confronter à l’Autre conduit le plus souvent à une identification groupale comme abri. La folie privée se conjoint à « je suis ce que l’autre du groupe dit que nous sommes ». Le prêt-à-porter de la réponse de l’autre favorise une sorte de « pousse à une identification groupale » avec des extrêmes dans les comportements violents envers soi ou autrui pour celui qui s’oppose au groupe comme pour celui qui cherche à s’y inclure. Prenons pour exemple certaines pratiques de scarifications avec les lames de taille-crayons qui se répandent chez les ados, « on a créé un groupe insta » sur lequel chaque scarification est exhibée. Chacune du groupe se réduit alors aux scarifications arborées. À faire groupe, on espère croire qu’il n’y aura plus d’étrangeté voire d’étranger, le tous semblables du groupe vient tenter de cerner un insupportable dans le corps. Mais cela peut conduire à l’effet inverse voire une ségrégation d’autant plus intense pour le moindre « déviant » conduisant ce dernier dans des atteintes encore plus importantes sur son corps. Et pourtant ce « faire groupe » ne suffit pas à « faire sens » dans les scarifications. Ainsi il peut y avoir des « j’aime voir le sang couler », ou « je voulais ressentir une douleur plus forte que mon mal dans ma tête ». C’est par cette voie de l’expression de sa singularité et donc la désidentification groupale que l’on peut donner chance au sujet de parler de ce qui lui impose une telle violence.
La violence, qu’elle soit sur soi ou sur l’autre, est l’expression d’un en-trop de jouissance ou un réel dont le sujet cherche à se séparer, comme J . – A. Miller nous l’a enseigné dans son texte « Enfants violents2 », sans la possibilité de recours à une trame symbolique. Devant ce non-recours au symbolique, pour tempérer le réel – de l’impossible rapport entre les sexes – certains se réfugient dans la croyance à un idéal absolu comme solution à cet impossible : il pourrait y avoir une vérité qui existe et qui nomme l’indicible.
Comme le rappelle Anaëlle Lebovits‑Quenehen dans son texte « Le cogito, sa foi en l’ego », dans la psychose « qu’une intrusion de jouissance hors sens se produise […] elle trouve presque toujours immédiatement un sens3 ». La pratique avec la psychose nous enseigne cela très précisément : « Je suis le diagnostic que l’on m’a donné et cela nomme mon être », ce qui me permet un lien social voire l’accès aux autres. En ce sens, les pratiques qui dérivent vers la croyance de manière collective à un discours, qui donnerait le S1 nommant notre être, donnant un sens à notre existence, sont plus que folie privée. La dérive vers l’incroyance à la division du sujet produit sa forclusion.
Rappelons ce que dit J.-A.Miller dans son texte « Les Hérétiques », « il n’y a pas une voie universelle par où prendre la vérité […]. Chacun doit choisir la voie par où prendre sa vérité […] elle ne relève pas de la croyance ou de l’incroyance […] mais à proprement parler du choix4 ». L’enseignement de la psychanalyse est de ne pas croire en une vérité qui soit universelle et qui laisserait alors la porte ouverte au fanatisme.
Christine Maugin
[1] Miller J.-A., « Trois questions à Jacques-Alain Miller », L’Hebdo-Blog, no326, 4 février 2024, publication en ligne (www.hebdo-blog.fr).
[2] Cf. Miller J.-A., « Enfants violents », Enfants violents, Navarin, 2019, p. 20-31.
[3] Lebovits-Quenehen A., « Le cogito, sa foi en l’ego », Ornicar ?, no57, Paris, Navarin, octobre 2023, p. 103.
[4] Miller J.-A., « Les hérétiques », Ornicar ?, no 57, op. cit., p. 113.