Un rêve est fait de mots qui se lisent, qui s’entendent sous la forme de narration, de récits très souvent énigmatiques, quelquefois congruents ou dits prémonitoires. Il n’y a pas d’autres moyens d’en faire état autrement que par la parole. Soulignons ici que le verbe rêver – de resver [1] – apparaît au 12e siècle au sens de « délirer à cause d’une maladie », « induire en erreur » mais aussi, au 16e siècle, « être perdu, absorbé dans des pensées vagues ».
Resver viendrait du verbe « errer », « divaguer », du gallo-romain esvo – vagabond. Le verbe « rêver » prend le sens de « délirer », « radoter » notamment [2]. Du point de vue de la psychanalyse lacanienne, ce rapprochement sémantique entre rêve et délire nous amène à considérer l’un comme l’autre – rêve et délire – avec l’articulation signifiante et ses lois qui y sont connexes. Jacques-Alain Miller le rappelle : « Le délire appartient pour Freud à la même classe de phénomènes psychiques que le rêve » [3].
Revenons ainsi sur la lecture de L’interprétation du rêve où Freud examine minutieusement le rêve comme faisant éclore un délire, facteur déterminant de l’émergence de la psychose. Il le dit précisément : « La psychose peut naître d’un seul coup avec ce rêve déclencheur, qui contient l’explication de dimension délirante, ou alors se développer lentement en passant par d’autres rêves qui doivent encore affronter certains doutes. » [4] Dans les débats et à partir des travaux de ses confrères, Freud soutient que « c’est le trouble mental qui avait révélé sa première expression dans la vie onirique, qui avait effectué sa première percée dans le rêve » [5]. à considérer cette thèse que le trouble mental s’initie à partir du rêve, l’intrication du rêve et de la folie nous amène à interroger le traitement psychanalytique de l’un et de l’autre en tant qu’ils sont intrinsèquement liés. Jacques-Alain Miller le souligne : « Freud traite sur un pied d’égalité rêve et folie. » [6] Le rêve, comme production délirante, peut-il être interprété et constituer un savoir dans l’après-coup de son énoncé ? Ne pourrait-on pas y déceler, en ce savoir, une forme de folie analogue à celle du rêve ?
C’est avec Lacan qu’une réponse précise vient nous aiguiller : « L’analyse est venue nous annoncer qu’il y a du savoir qui ne se sait pas, un savoir qui se supporte du signifiant comme tel. Un rêve, ça n’introduit à aucune expérience insondable, à aucune mystique, ça se lit dans ce qui s’en dit, et qu’on pourra aller plus loin à en prendre les équivoques au sens plus anagrammatique du mot. » [7]
Le rêve en tant que récit ne s’interprète pas, aucun savoir ne peut se construire à partir d’un savoir non su. Seuls les signifiants, épinglés au un par un dans le « dit » adressé à l’analyste – donc sous transfert – peuvent donner lieu à un savoir autre que celui « qui ne se sait pas », pour reprendre les termes de Lacan. Dans la cure, le rêve met au travail en tant qu’il est un pousse-à-produire-un-savoir. La folie ne fait-elle pas de même ? Si, comme le précise J.-A. Miller : « C’est le propre de la psychanalyse que de mettre ces phénomènes en continuité, tandis qu’il appartient aux gardiens de la réalité commune de les discriminer et de tracer une ligne infranchissable entre le normal et le pathologique » [8], comment le rêve rend-il compte du réel pour chacun au regard de la folie ?
N’est-ce pas ce que l’analyste s’applique à mettre à jour pour ne pas être pris dans la folie du récit propre au rêveur ?
Fatiha Belghomari
___________________________
[1] Cf. https://www.cnrtl.fr/etymologie/rêver
[2] Cf. https://fr.wiktionary.org/wiki/rêver
[3] Miller J.-A., « Tout le monde est fou », Discours de clôture des Grandes Assises virtuelles internationales de l’AMP La femme n’existe pas, prononcé le 3 avril 2022, à la Maison de la Mutualité à Paris et en visioconférence. Disponible à https://congresamp2024.world/tout-le-monde-est-fou/ Voir également Miller J.-A., « “Tout le monde est fou” AMP 2024 », La Cause du désir, n° 112, novembre 2022, p. 56.
[4] Freud S., L’Interprétation du rêve, Paris, Seuil, Essais, 2010, p. 125.
[5] Ibid.
[6] Miller J.-A., « “Tout le monde est fou” AMP 2024 », op. cit., p. 56.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1975, p. 88.
[8] Miller J.-A., « “Tout le monde est fou” AMP 2024 », op. cit., p. 57.