Rajeunir de 20 ans. Voilà ce qu’a exigé en justice un Néerlandais, il y a quelque temps, se sentant « lésé et discriminé » [1] par son âge. Devant le tribunal, il défend la légitimité de sa demande : « Nous pouvons aujourd’hui choisir notre travail, genre, orientations politique et sexuelle. Alors, pourquoi ne pas avoir le droit de changer d’âge ? » [2].
Sa requête a laissé sans voix les magistrats d’un tribunal du pays. Si les médias du monde entier se sont emparés de son histoire, c’est qu’elle reflète un certain malaise lié à la place accordée aujourd’hui au discours performatif. Si je dis avoir 20 ans de moins, j’exige que mon acte de naissance soit modifié : Je suis ce que je dis [3].
Cette mutation du cogito cartésien au niveau du dire, isolée par Jacques-Alain Miller comme un dico [4] – sa logique et ses incidences cliniques – fut le thème choisi par l’ECF pour ses dernières Journées [5].
Dans la suite des 52e Journées, Ornicar ? publie un numéro consacré à l’abordage du dire, « à ses variations, entre pratique, usage et acte, à travers le temps, d’hier à aujourd’hui » [6]. À rebours de la tendance actuelle à réduire la parole à la fixité d’un dire non incarné, l’ouvrage nous invite à explorer les facettes du dire, de la Disputatio médiévale [7] aux accents poétiques du rap [8]. Ou à se laisser transporter en Rome antique, entre la voix du masque au théâtre, disjointe du corps de l’acteur, et la parole articulée des généraux s’adressant à leurs troupes avant une bataille [9].
Le dire de Lacan s’y découvre sous la forme originale d’un pathème proposé par J.-A. Miller dans son cours « Vie de Lacan » [10], et qui résonne avec les « “affinités paranoïaques” de l’élite » [11], évoquées par Lacan dans sa thèse. Par ailleurs, l’orientation lacanienne se fait sentir dans la perspective analytique du dire, en tant qu’il « vise le corps parlant […] pour passer dans les tripes » [12]. Un dire « apte à vous dépétrifier » [13], à vous détacher de toute inertie fantasmatique [14].
Un étonnant dessin de Dürer figure en couverture de l’ouvrage. Hermès y est représenté la langue percée, attachant par l’oreille la foule qui le suit. L’artiste se serait inspiré d’une description, par Lucien de Samosate, du dieu celte Héraclès Ogmios. Hermès ou Héraclès, force physique ou éloquence civilisatrice ? À vous de le découvrir dans le dossier qui lui est dédié.
Dans ce numéro, l’Hebdo-Blog a le plaisir de partager avec vous ses lectures estivales. Vous y trouverez tressages, nouages et poésie, liés à l’éthique du bien dire.
Bonne rentrée !
Ligia Gorini
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[1] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/11/08/97001-20181108FILWWW00121-pays-bas-un-homme-exige-que-son-age-legal-soit-rajeuni-de-20-ans.php
[2] Ibid.
[3] Cf. Miller J.-A., intervention dans les échanges lors de « Question d’École », in Alberti C., « L’enfance, berceau de la démocratie », Quarto, n° 131, juin 2022, p. 46.
[4] Ibid.
[5] « Je suis ce que je dis. Dénis contemporains de l’inconscient », 52e Journées de l’École de la Cause freudienne, 19-20 novembre 2022.
[6] Guttermann-Jacquet D., « Liminaire », Ornicar ?, n° 56, avril 2023, p. 8.
[7] Sère B., « Dire au Moyen âge », Ornicar ?, op. cit., p. 84-96.
[8] Barret J., « Le rap : l’art poétique de notre époque », Ornicar ?, op. cit., p. 132-142.
[9] Dupont F., « Oralités romaines », Ornicar ?, op. cit., p. 73-83.
[10] Cf. Miller J.-A., « Le dire de Lacan, son pathétique », Ornicar ?, op. cit., p. 60-72. Il s’agit de la reprise de la 8e leçon de « L’orientation lacanienne. La vie de Lacan » (2009-2010).
[11] Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la réalité, Paris, Seuil, 1975, p. 278. Note citée par J.-A. Miller dans « Le dire de Lacan, son pathétique », Ornicar ?, op. cit., p. 71.
[12] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », Scilicet. Le corps parlant. Sur l’inconscient au XXIe siècle, Paris, ECF, Collection rue Huysmans, 2015, p. 34.
[13] Gutermann-Jacquet D., « Liminaire », op. cit., p. 7.
[14] Laurent E., « Conjectures du savoir et désir de LOM », Ornicar ?, op. cit., p. 192.