Le collage naît de l’abondance, celle des images, celle des textes. En 1929, Max Ernst publie un roman-collage, La femme 100 têtes, où il joue avec le fonctionnement des rêves, manipule des surgissements, assemble des interférences provenant de magazines, d’encyclopédies et de romans. Les bases du collage sont posées ; numérique ou papier, il continue au XXIe siècle, l’homme moderne ne pouvant s’empêcher dans l’abondance de jouer à l’homo collans.
Dans son atelier de Potsdam, Waldemar Strempler, ancien directeur de la Fondation des châteaux et jardins prussiens de Berlin-Brandebourg, s’adonne à un type particulier de collage. Pas de corps ou rarement dans ses assemblages, pas de machines, pas de paysage, l’abondance qui le concerne est celle du langage. Il en cherche une mise en image : quelque chose s’écrit, il faut en récupérer la matérialité. Dans une interview il en donne le mode opératoire : manipuler une pile de papiers, fouiller l’abondance et surtout chercher l’effet de surprise. Des traces sont pistées, des circulations manuscrites sont traquées, siècles et provenances sont en mélange, tout support textuel est enquêté : courrier, diaire, cahier, mais aussi partition, passeport, couverture sont découpés, réajustés, mis bout à bout. La logique est celle de l’association. La couleur, celle de l’archive. L’étoffe de papier à l’occasion est rehaussée d’une plume, d’un pétale, d’une tache, d’un timbre.
Au fil des compositions une loi alors se devine. Sur sa page internet [1] Strempler affiche régulièrement son nouveau placard. Invariablement sans titre et sans numéro, l’année seule pointe. Pour l’abri symbolique ce sera tintin. Le sujet, l’identification, le repérage ne sont d’ailleurs pas plus visés. Place plutôt à l’insistance, c’est elle in fine qui est poursuivie, quel que soit son alphabet (latin, gothique, asiatique), sa graphie, la couleur de son encre. Et quand éventuellement le visage ou le corps sera accolé, il apparaîtra tronqué puisque la loi à l’œuvre est que l’assemblage ne figure ni ne divulgâche rien : le manuscrit recomposé de Strempler intervient après l’épuisement de l’interprétation.
Dans le langage dont Strempler tient archive (ses piles sont dans l’atelier), une ligne de fuite travaille à son compte et il court après, en piste la trace ciseaux et tube de colle en main. C’est une approche de D.J. où le collage serait la mixtape du refrain « circulez, y’a rien de final à lire, revenez ça recommence ». Peut-être est-ce aussi le refrain de la chansonnette « Je suis ce que je dis » ? Strempler se joue de l’abondance de ces dits, il les plie, les étale, les ajuste, en homo collans avisé il en montre le déplacement perpétuel. « Je suis ce que je dis » ? À condition que ce soit le plaisir de la texture qui compte, pas la liturgie du rébus final. « Je suis ce que je dis » ? Dans son atelier le fin mot n’est pas saisissable. Un collage peut en naître.
Cédric Grolleau
[1] https://stremplerart.tumblr.com