« Je ne suis pas anxieux de poursuivre à toute force. Si je suis trop malade,
je n’ai aucune envie d’être traîné dans une brouette. » [1]
Jean-Luc Godard
Emmanuel Macron a confirmé la semaine dernière le lancement en octobre d’une convention citoyenne sur la fin de vie. La même semaine le CCNE [2] a rendu public un avis sur cette question [3]. La coïncidence avec la mort de Jean-Luc Godard par suicide assisté en Suisse, annoncée le même jour, jette une lumière d’actualité supplémentaire sur le débat français.
La loi Claeys-Leonetti en vigueur à ce jour offre une possibilité de sédation profonde et continue jusqu’au décès, aux conditions d’une souffrance qui résiste au traitement, d’une affection chronique grave et d’un pronostic vital à très court terme. Cela apparaît aujourd’hui insuffisant pour soutenir la dignité de la personne face à la mort, au moins au regard de ce qui se passe dans certains pays voisins.
L’Allemagne certes n’a pas encore de loi définitive à ce propos, mais le débat y est également rouvert suite à un jugement de la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui a conclu que « la liberté de disposer de soi-même entachait d’inconstitutionnalité la disposition du code pénal allemand qui fait de l’assistance au suicide une infraction pénale. » [4] Cet avis rejette une loi précédente qui interdisait le suicide assisté, mais pour autant il ne l’autorise pas.
La Suisse et la Belgique proposent deux situations différentes, puisque dans la première seul le suicide assisté est autorisé, alors que dans l’autre, seule l’euthanasie l’est. Dans les deux cas, cela ne peut se faire qu’à la demande d’un patient capable de discernement. La différence tient à la main qui tient le produit létal : le patient lui-même pour le suicide assisté, le médecin pour l’euthanasie.
C’est un débat de société qui doit avoir lieu et se développera dans les prochains mois. Une question, dans ce débat, nous concerne directement, celui de la souffrance psychique et de la prise en compte de l’inconscient du sujet.
Le président français « a précisé, lundi soir, qu’il regardait “le modèle belge, mais pas du coup comme un modèle qui serait à calquer” – une nuance, alors qu’il avait dit, lors de la campagne présidentielle, être favorable à une évolution de la France dans cette direction. Le chef de l’État a ajouté ne pas être “à l’aise avec le modèle suisse, qui est vraiment un suicide assisté” » [5]. Or il y a dans le modèle belge un problème majeur.
Le CCNE résume bien la législation belge en cette matière : « Le patient qui souhaite être euthanasié doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. » [6] Ajoutons que la loi n’implique pas que le pronostic vital soit engagé à court terme.
Le comité d’éthique français est par ailleurs prudent en ce qui concerne le cas de la douleur psychique et des troubles mentaux puisqu’il nuance son avis en précisant que l’aide active à mourir doit pour ces cas-là faire encore l’objet de réflexions ultérieures [7]. C’est en effet sur ce point qu’un problème éthique majeur apparaît dans la loi belge.
Comme l’écrit notre collègue du Kring voor psychoanalyse, Geert Hoornaert : « Le discours sur l’euthanasie fonctionne comme une sorte d’“accommodation discursive” au délire psychotique, comme une sorte de prêt-à-porter dans lequel ce délire est guidé en douceur vers le passage-à-l’acte. » [8] Un procès célèbre en Belgique a mis cette question sur le terrain judiciaire sans que la conclusion ne puisse en être complètement tirée [9].
Comment préciser en effet ce qu’est une souffrance « psychique » sans inclure, au-delà de la notion d’autonomie de l’individu capable de discernement, celle de souffrance subjective en lien avec l’inconscient ? Sur ce point la loi soutient l’affirmation produite par l’individu comme une volonté décidée, comme un « je suis » sans faille, hors division du sujet. Et puis l’existence même de ce discours sur l’euthanasie pour douleur psychique ne fait-elle pas un appel à ce que des sujets y trouvent une solution qu’eux-mêmes n’auraient pas construite ainsi, sans l’appel du signifiant auquel ils peuvent être prêts à répondre par un acte ?
Alexandre Stevens
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[1] Godard J.-L., interview accordée à la Radio-Télévision suisse (RTS), mai 2014.
[2] Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.
[3] « Avis 139, Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité », Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, rendu public le 13 septembre 2022, consultable sur internet.
[4] Ibid., p. 29-30.
[5] Morel S., Wieder T., Bonnel O., Stroobants J.-P., « Fin de vie : dans les pays européens, des évolutions récentes », Le Monde, 13 septembre 2022, consultable sur internet.
[6] « Avis 139 », op. cit., p. 45.
[7] Cf. ibid., p. 33.
[8] G. Hoornaert, « “Van nee” zeggen », Atelier lacaniaanse kliniek, 3 mei 2021. Traduction libre par l’auteur du présent texte.
[9] « L’affaire Tine Nys » ; diagnostiquée autiste Asperger, Tine Nys avait été euthanasiée en 2010.