Les prochaines Journées de l’École de la Cause freudienne nous conduisent à tirer des conséquences d’un très actuel « je suis ce que je dis ». Après le cogito de Descartes, Jacques-Alain Miller dessinait les contours à Question d’École [1] de ce nouveau dico, issu d’un appel à l’autodétermination.
Un des enjeux du déni contemporain de l’inconscient porte sur l’état civil. En effet, celui-ci est remis en question par les militants trans qui sont favorables au retrait de la mention « genre », après avoir obtenu en 2016 la possibilité de la modifier gratuitement, mais sous réserve de justification auprès du tribunal [2]. Ne pourrait-on pas l’entendre, dans le fond, comme une demande d’effacement de l’état civil ?
L’état civil, nous indique le Larousse, désigne à la fois l’« ensemble des qualités qui assignent à une personne sa place dans la société et la différencient des autres » et c’est le « service public [qui est] chargé des actes de l’état civil » [3]. Ainsi, l’état civil, en tant qu’inscription qui discrimine par l’état biologique de naissance, relève donc de l’inscription du sujet dans l’Autre de l’ordre social. C’est une inscription qui se pose dans la logique du signifiant, y logeant donc également l’inadéquation du sujet avec son corps. Par exemple, je peux avoir un sexe biologique masculin inscrit sur mon état civil et ressentir que je suis une fille. Le signifiant « trans » vient après le fait que le signifiant « fille » représente un sujet en regard du signifiant « garçon ».
Or si, avec ce dico, on réduit « l’être à l’énoncé » comme le présente l’argument d’Éric Zuliani pour ces J52 en préparation, dans « cette folie qu’est la croyance dans le moi » [4], le signifiant ne représente plus le sujet pour un autre signifiant. On supprime alors le sujet soumis aux lois du langage, soit à la logique différentielle du signifiant. Bien avant le débat aux États-Unis sur les toilettes all gender, c’est ce que Lacan avait illustré en 1957, par la présentation de « l’image de deux portes jumelles » de toilettes qui, pour l’occidental, homme ou femme, « soumet sa vie publique aux lois de la ségrégation urinaire » [5].
Dans ce mouvement, l’autodétermination implique une liquidation de toute assignation par la société, soit par un Autre pris sous sa forme « de contrôle, d’ingérence », comme le relevait Catherine Lacaze-Paule dans une conversation sur ce thème [6]. « Ainsi se trouve localisé au dehors de tout sujet ce que Lacan décrit ainsi : l’inconscient comme discours de l’Autre » [7].
En prolongeant cette logique vers un scénario dystopique, on pourra bientôt demander le retrait de la date de naissance ou du lieu de naissance par exemple, parce qu’il ne serait pas conforme avec la perception sociale que la personne se fait d’elle-même. Dans « mon ressenti », « je n’ai pas l’âge qui est indiqué sur ma carte d’identité », par exemple. Le déni de l’inconscient se trouve bien là en ce point où l’on supprime l’écart entre la jouissance du corps et le signifiant. On supprime une parole renvoyant à cette énigme qu’est le corps. Nous pourrions assister donc à la disparition de l’état civil.
Caroline Nissan
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[1] Miller J.-A., Extraction du dico, à la Journée Question d’École, ECF, 22 janvier 2022, disponible sur internet : journees.causefreudienne.org/fetiches
[2] www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/changement-sexe
[3] « état civil », Dictionnaire, Larousse, disponible sur www.larousse.fr. C’est l’auteur qui souligne.
[4] Zuliani É., « Argument #1 », Journées de l’ECF, disponible sur internet : https://journees.causefreudienne.org/argument-1
[5] Lacan, J., « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », Écrits, Paris, Seuil, p. 500.
[6] Cf. Lacaze-Paule C., article à paraître dans le cadre de l’atelier de recherche sur l’enfant trans de l’Institut Psychanalytique de l’Enfant du Champ Freudien.
[7] De Georges P., « L’assertion de soi », Boussoles, Journées de l’ECF, disponible sur internet : https://journees.causefreudienne.org/lassertion-de-soi