On peut observer dans le couple que forment les notions de consentement et d’attentat sexuel le prisme qui diffracte l’air du temps. Mais alors, que peut-on lire dans le résultat de cette opération ?
C’est sur un détail d’un objet complexe que mon attention s’est arrêtée. Il s’agit du livre de Vanessa Springora, Le Consentement. Objet littéraire, certes, mais complexe de mon point de vue. Je laisse de côté cette considération pour souligner un point qui concerne ce que le titre du livre indexe : comment situer d’un point de vue analytique la notion de consentement ?
Cette notion qui n’appartient pas au champ de la psychanalyse, mais à celui du droit, pose et relève la discontinuité du désir et de la jouissance. Ces deux domaines ne s’articulent pas sans la participation de l’élément symptôme qui est un mixte des deux. Ainsi, lorsque le sujet est appelé à donner son consentement, tout éclairé qu’il soit, il ne peut l’être sur la part de jouissance intraduisible dans le langage. Que cette part de jouissance n’apparaisse pas dans le consentement ne l’empêche pas d’être active, bien au contraire, c’est tout du moins sa condition de substance inassimilable. Elle est le background qui accompagne le domaine du consentement, son passager clandestin. Aussi, quel que soit l’objet sur lequel porte le consentement, il y a la part de jouissance qui va avec, et qui fait symptôme. Citons les domaines majeurs de la vie des parlêtres auxquels s’applique cette formule : le mariage, le partenaire, le travail, le lien social et, last but not least, les relations sexuelles. Si ces domaines sont des lieux électifs pour le symptôme, son émergence n’est pas sans apporter son lot de complications pour le sujet. Car, comme formation de l’inconscient, il n’est pas reconnaissable comme tel et, ainsi que le souligne Freud : « Il lui faut [à l’analysant] acquérir le courage de porter toute son attention sur les manifestations de sa maladie. » [1] Et en effet, il lui faut ce courage pour aborder la jouissance codée dans le symptôme tant elle est affine à l’obscénité et la honte. Ce que V. Springora indique d’une manière limpide : « comment admettre qu’on a été abusé, quand on ne peut nier avoir été consentant ? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter ? Pendant des années, je me débattrai moi aussi avec cette notion de victime, incapable de m’y reconnaître » [2].
Si le témoignage de l’auteur fait bien valoir le courage qu’il faut à tout analysant pour entreprendre le décryptage de la jouissance via la construction du fantasme, il relève néanmoins d’une situation qui n’est pas l’ordinaire de tout parlêtre. Ici, il est avant tout question d’abus sexuel dont l’un des effets majeurs est de donner consistance à un Autre jouisseur. C’est donc en dehors du scénario supporté par le fantasme que se déploient le périmètre d’action des effets de l’abus sexuel tel qu’il est décrit par V. Springora. Incarner l’objet de jouissance d’un Autre abuseur supprime l’effet de voile propre au fantasme et gomme la barrière des domaines de l’Autre et de la jouissance. Le ravage qui en résulte est d’autant plus puissant que les proches sont complices et que l’auteur de l’abus incarne une figure d’autorité.
La valeur du témoignage de V. Springora tient presque du paradigme, du fait même qu’elle n’occulte aucune des composantes de la trame dramatique qui a lesté son existence pendant presque trente ans.
* Unboxing désigne un usage codifié sur les réseaux sociaux dans lequel un internaute dévoile le contenu d’un colis.
[1] Freud S., « Remémoration, répétition et perlaboration », Libres cahiers pour la psychanalyse, n°9, mai 2004, p. 18.
[2] Springora V., Le Consentement, Paris, Grasset, 2020, p. 163. Nous soulignons « m’y reconnaître ».