L’après midi de cette journée consacrée à la Garantie a permis à un public nombreux et attentif d’entendre l’exposé de six collègues ouvrant à une discussion animée par Jacques-Alain Miller.
Les éclairages apportés ont balayé le champ large et varié des rapports en impasse de la psychanalyse avec le discours du maître aujourd’hui. Discours du Maître qui s’emploie à en réduire la portée car d’une certaine manière, celle-ci résiste à la massification, à l’homogénéisation qui va de pair avec la marche du capitalisme. Afin de réduire les prétendues déperditions économiques dues au traitement des variétés des symptômes, le sujet est promu dans son autonomie, à condition cependant qu’il entre dans les catégories prévues pour lui à cet effet. Il s’en trouve par là dé-subjectivé. La psychanalyse permet cette lecture, ce repérage « d’une idéologie du conditionnement universel » comme le fait valoir Éric Zuliani. En éclairant comme dit Lacan, les autres discours à jour frisant, elle les subvertit, du fait du sien propre, elle s’en décale. J’ai été sensible pour ma part à ce qu’Éric Laurent a fait valoir à ce sujet. Le maitre veut bien des psychanalystes pourvu qu’ils se présentent autonomes sans garantie au-delà de leur personne, sans lieu donc où se formalisent les conséquences de son discours. De ce discours l’École peut en rendre compte à travers ses AME qui « regardent vers le public, la civilisation et ses AE qui regardent vers l’association libre » souligne Jacques-Alain Miller. Extension et intension, envers et endroit d’une bande de Moebius, confèrent à l’Ecole la meilleure position pour « séduire le maître sans l’imiter » formule Jacques-Alain Miller, sans y perdre son identité, avec la boussole du réel.
La lecture et l’interprétation que nous faisons de la modernité n’est pas figée et progresse avec elle. Un aggiornamento permanent résulte du lieu qu’est l’Autre barré, car indique Jacques Alain Miller, « la psychanalyse dissout les semblants, y compris le sien ». C’est le sens que prend dans l’École, la pratique du contrôle, exposée par Philippe de Georges qui « repose sur le contrôle l’acte et non du praticien. » Philippe La Sagna, met l’accent sur la place de l’analyste, elle ne tient ni du protocole ni de l’empathie, mais du « lieu comme le nom de ce qui du réel déplace, déloge, marque le non rapport ».
Deux exposés m’ont semblé pouvoir être mis en relation, se répondre l’un l’autre. Ceux de Marie-Hélène Brousse et Serge Cottet. Au cœur de l’illusion de vérité, la psychanalyse dénude le réel. Aux pôles donc on trouve d’une part, le propos de Marie-Hélène Brousse qui montre que la science tend à se faire prendre pour LA science, identifiée à elle-même, place de Dieu pour la religion, de LA femme qui n’existe pas, pour la psychanalyse rendant possible l’exception de chacune. Le grand I de LA science dépasserait donc son but aujourd’hui et se voudrait unique, universalisant, et surtout sans faille. C’est le coté aveugle, acéphale de la science dont la Silicon Valley est le témoin. Reste qu’elle ne pourra pas « être un remède à la débilité foncière du parlêtre » souligne Jacques Alain Miller.
Le pendant de l’idéalisation de la science, c’est le transfert qu’a fait valoir Serge Cottet. Après avoir, au départ évoqué les dangers qui pèsent sur la psychanalyse, du fait de la désinformation dont elle est l’objet, il remarque que cette contestation n’atteint pas la popularité dont la psychanalyse jouit dans le public. Ce fait confirme me semble-t-il, que la psychanalyse est bien portante et vivante, le transfert participe de ce qui la garantit. Il y participe d’autant plus que celle-ci ne promet aucun bonheur pour tous. À la racine du transfert il y a donc le réel, et pour chacun la causalité retrouvée, assumée de l’objet(a) cause du désir. Désir qu’il peut désormais soutenir, ou place qu’il parvient à tenir, à occuper dans le monde. Le sujet peut le faire savoir à travers ce qui se transmet des résultats de bouche à oreille, comme ce qui s’entend dans les témoignages d’AE. C’est pourquoi, malgré ce qui se profère contre la psychanalyse, ceux qui s’adressent à elle, par les voies du transfert, sont en nombre croissant. Ne serait-ce pas ce que fait valoir Freud en parlant de l’intellect et que l’on pourrait paraphraser ainsi : « La voix de l’inconscient est basse mais elle ne s’arrête point qu’on ne l’ait entendue ». Le réel est sa garantie, l’objet(a) irréductible et non collectivisé son aiguillon. Il cristallise le transfert contre « la férocité actuelle d’un pour tous, dans ce qui vaut au un par un ». Nul doute que cela puisse déclencher « la rage chez le Maître » énonce Jacques-Alain Miller. Serait-elle, cette rage, le signe que nous sommes bien situés ? Et que la consistance trouée de la bande de Moebius pourrait ainsi continuer de dénuder les nouveaux mauvais tours que le Maître changeant ne peut que nous jouer.
Pour conclure, réservons une place à part à l’exposé d’Éric Laurent qui alerte sur la disparition de la clinique psychiatrique au profit de centres ultra pointus d’expertises, pour quelques cas, quelques cas à valeur semble-t-il exemplaires. La folie existe, elle se rencontre là, le reste ne serait que troubles divers. Cette disparition va de pair avec le démantèlement des lieux pour accueillir les patients puisqu’au fond ils sont censés se raréfier. Si nous faisons une place à part à la psychiatrie, c’est que son objet est aussi le notre et que nous avons à éclairer et défendre cette psychopathologie de la vie quotidienne dans la psychose, dans l’Autisme. Cela participerait de « l’égalité fondamentale des parlêtres » dont parle Jacques-Alain Miller en clôture du IXéme congrès de l’AMP.