Lisez Laurent Demoulin, Valérie Gay-Corajoud… Ils écrivent jour après jour leur expérience de paternité ou de maternité à travers le quotidien d’un enfant autiste. La délicatesse de leur propos est saisissante. Elle tient à leur attention de chaque instant, leur désir de dire au plus près de l’expérience, la poésie inouïe de leur écriture. Une chose par-dessus tout m’a frappée. Ils clament le salut par le temps.
L’agenda de chaque instant l’atteste, « une double vie » selon le mot de Laurent Demoulin. Il y a les rendez-vous avec les médecins, les orthophonistes, les psychomotriciens, les psys…, MDPH, les enseignants, les activités… Il y a surtout le temps de se faire à la manière d’être de leur enfant. Les inventions, les trouvailles, les formulations originales se font avec le temps : en un sens, « l’autisme, c’est l’éloge de la lenteur » comme le dit Catherine Léger. Lacan évoque à propos d’une analyse qu’il faut « le temps de se faire à l’être ». Ne peut -on penser que dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, il faut le temps de se faire à l’être parent, le temps pour le sujet autiste de se faire à l’être.
Se dessine ainsi une voie d’apparence précaire et pourtant tellement lucide pour permettre à un sujet de trouver sa place dans la routine du monde, de stabiliser son rapport au signifiant, détacher une parcelle de jouissance pour en faire un objet. Cette orientation suppose de lire le sentiment d’intrusion propre à l’autisme avec Lacan : comme « le développement d’une défense », l’éloignement du monde comme le signe paradoxal d’une transparence à celui-ci, une ouverture absolue.Accorder la plus haute importance au moindre goût, intérêt, la plus infime inclination du sujet dit autiste, en guise de médiation pour organiser, apprivoiser un monde perçu « par bribes et par bouts » (Donna Williams), dessiner un bord (ainsi qu’Éric Laurent le développe) pour qu’un lien entre l’Un-corps et l’autre soit possible. Cette position qui nécessite le temps comme le plus sûr allié peut certainement se recommander de Lacan : « Disons que semblable trouvaille ne peut être que le prix d’une soumission entière, même si elle est avertie, aux positions proprement subjectives du malade, positions qu’on force trop souvent à les réduire dans le dialogue au processus morbide, renforçant alors la difficulté de les pénétrer d’un réticence provoquée non sans fondement chez le sujet »[1].
[1] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.534.